Un rachat de titres suivi d’une réduction de capital non motivée par des pertes peut-il être abusif ?

Le Comité de l’abus de droit fiscal définit les conditions dans lesquelles un rachat de titres suivi d’une réduction de capital non motivée par des pertes est susceptible de présenter un caractère abusif.

Rappel

Une réduction de capital non motivée par des pertes peut prendre la forme d’une annulation du nombre de titres ou d’une réduction de la valeur nominale des titres et peut être consécutive à un rachat de titres préalablement effectué par la société.

Depuis l’intervention de la LFR 2014, le régime fiscal du rachat préalable à une réduction de capital non motivée par des pertes par la société émettrice de ses propres titres, est désormais unifié (CGI, art. 112, 6°) : les sommes reçues par les associés ou actionnaires dans ce cadre sont imposées selon le seul régime des plus-values (et non comme auparavant, selon un régime hybride, pour partie en dividendes, pour partie en plus-value).

L’histoire

Une SARL, détenue à parts égales par ses 2 associés et co-gérants, exerçait une activité principale de prestations informatiques consistant, pour l’essentiel, à éditer et exploiter un site internet. De manière plus accessoire, elle exerçait également une activité de marketing direct et de régie sur internet.

En 2015, elle a cédé le site internet à l’un de ses concurrents. Quelques mois plus tard, il a été décidé, lors de l’AGO annuelle, d’affecter l’important bénéfice comptable de l’exercice au compte « autres réserves ». Les 2 associés ont ensuite décidé de procéder à une réduction de capital drastique de la société, à la double condition suspensive que la société rachète ses propres parts et qu’il n’y ait pas d’opposition des créanciers. Ils ont, en outre, décidé, le même jour, du principe d’une augmentation de capital social par incorporation de réserves.

La société a ainsi racheté, en novembre 2015, à ses associés 498 des 500 parts que comportait le capital social, avant qu’il ne soit procédé à une réduction de capital par voie d’annulation des 498 parts auto-détenues par la société.

Au terme de cette opération, le capital de la société se trouvait ainsi constitué de 2 parts sociales détenues à parité par les 2 associés. Ces derniers ont ensuite décidé de procéder à une augmentation de capital par incorporation de réserves, par création de 98 nouvelles parts sociales, leur étant attribuées à égalité.

Les gains retirés par les associés du rachat par la société de ses propres titres ont bénéficié des dispositions de l’article 112,6° du CGI et ont été imposés, en intégralité, selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières, au titre duquel ils ont bénéficié de l’abattement de détention renforcé de 85 % prévu à l’article 150-0 D, 1 quater, A, 3° du CGI.

Mise en œuvre par l’Administration de la procédure de l’abus de droit

L’Administration a remis en cause, sur le terrain de l’abus de droit, les modalités d’imposition des gains, estimant que le rachat par la société de ses propres titres ne poursuivait aucun des objectifs assignés aux réductions de capital, mais était en réalité exclusivement motivé par la volonté des associés d’appréhender des dividendes sous le régime plus favorable des plus-values de cession de titres, en contrariété avec l’intention du législateur, aucun motif autre que fiscal ne justifiant par ailleurs cette réduction de capital non motivée par des pertes.

L’affaire a été portée devant le Comité de l’abus de droit, lequel a écarté l’existence d’un abus de droit en l’espèce, tout en fournissant une grille d’analyse permettant de déterminer dans quelles conditions une telle opération pourrait présenter un caractère abusif.

Il indique en 1er lieu que l’appréhension par un associé des sommes lui étant versées dans le cadre d’un rachat préalable à une réduction de capital non motivée par des pertes ne saurait caractériser un abus de droit au seul motif qu’il aurait choisi la voie la moins imposée pour bénéficier de la mise à disposition de sommes issues des réserves de la société (autrement dit, pas de sanction du choix de l’option fiscale la moins onéreuse).

En revanche, il en irait différemment si l’Administration se trouvait en mesure d’établir au vu de l’ensemble des circonstances dont elle se prévaut qu’une telle opération (en particulier si elle est effectuée de manière récurrente) constitue un montage artificiel – contraire de fait à l’intention du législateur – permettant à ses associés de bénéficier du régime plus avantageux des plus-values et de l’abattement pour durée de détention.

Tel n’était toutefois pas le cas en l’espèce selon le Comité, l’opération étant motivée par une finalité économique propre.

Le Comité relève, à cet égard, que l’opération litigieuse était consécutive à la vente du site internet, qui constituait le principal actif et la principale source de revenus de la société. Il en résulte qu’à l’issue de cette cession, la SARL se trouvait dotée de capitaux propres hors de proportion avec les activités subsistantes et que la totalité des réserves dont elle disposait n’était pas nécessaire pour la poursuite de ces activités.

Aussi, l’opération de rachat suivie d’une réduction de capital a eu pour effet de diminuer les capitaux propres de la société afin de les adapter à son nouveau périmètre conformément aux buts économiques poursuivis par les 2 associés de la société, et ne présentait en conséquence pas de caractère abusif.

Le Comité indique expressément que la circonstance que l’opération de réduction du capital a porté sur un faible montant au regard du prix de rachat des titres et a ensuite été immédiatement suivie d’une augmentation de capital prélevée sur les réserves ne modifie pas son appréciation.

On notera que l’Administration a indiqué qu’elle n’entendait pas se ranger à l’avis du CADF.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.