Tour d’horizon des procédures d’infraction contre les Etats membres en matière de fiscalité directe

Bien que cela n’ait pas été rapporté (récemment) dans ces pages, la Commission européenne est plus que jamais active vis-à-vis des Etats membres de l’Union européenne. En effet, elle ne cesse de traquer dans leurs législations les cas de discrimination ou d’atteinte aux droits conférés par les Traités ou les directives. Gageons également que les citoyens de l’UE sont de plus en plus nombreux à dénoncer auprès des services de l’exécutif européen des situations de violation du droit communautaire !

Taxation à la sortie, taxation des plus-values, régimes anti-abus, fiscalité de l’énergie, imposition des sociétés d’investissement… rien ne semble échapper au contrôle communautaire. Cette activité mérite d’être signalée et synthétisée brièvement.

Régimes fiscaux anti-abus

Deux régimes britanniques anti-abus sont considérés par la Commission comme discriminatoires et ont fait l’objet d’un avis motivé (deuxième stade de la procédure d’infraction). Si le Royaume-Uni ne répond pas dans les deux mois, la CJUE pourra être saisie par la Commission.

Il s’agit tout d’abord de la législation en matière de transferts d’actifs à l’étranger. En effet, en vertu de cette législation si un résident britannique investit dans une société non-établie dans le Royaume-Uni en lui apportant des actifs, cet investisseur est imposé sur le revenu généré par la société. La discrimination apparaît quand l’on sait que les mêmes apports à une société britannique ne conduisent qu’à l’imposition de la seule société.

En second lieu, la Commission conteste le régime d’attribution de bénéfices à des membres de sociétés non-résidentes au Royaume-Uni. Ainsi, lorsqu’une société résidente au Royaume-Uni acquiert une part supérieure à 10% d’une société établie dans un autre Etat membre et que cette dernière réalise une plus-value sur la vente d’un actif, les bénéfices sont automatiquement attribués à la société britannique, qui est soumise à l’impôt des sociétés sur ces plus-values. Si, en revanche, la société britannique avait investi dans une autre société résidente britannique, seule cette dernière aurait été soumise à l’impôt sur les plus-values.

Pour la Commission européenne, ces deux législations conduisent à imposer plus lourdement les investissements « sortants » du Royaume-Uni et forment une restriction à la libre circulation des capitaux (articles 63 et suivants du TFUE) et au libre établissement (article 49 du TFUE). En outre ces mesures seraient disproportionnées car allant au-delà de ce qui est raisonnablement nécessaire pour éviter la fraude ou l’évasion fiscale ou pour satisfaire à toute autre exigence d’intérêt public.

Pour mémoire nous vous renvoyons à la lecture d’un article du blog du Pôle consacré à la coordination des mesures anti-abus des Etats membres : Coordination des politiques fiscales, Round 2 : les règles anti-abus des Etats membres.

Taxation de l’électricité

Après plusieurs mois de procédure, la Commission européenne a traduit la France devant la CJUE pour non adaptation de son système de taxation de l’électricité. En mars 2010, un avis motivé lui avait été adressé afin qu’elle modifie dans un délai de deux mois sa législation.

En effet, il faut se rappeler que la France disposait d’une période transitoire jusqu’au 1er janvier 2009 pour adapter son système de taxation de l’électricité, dans le cadre de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité. Or, à l’expiration de ladite période aucune mesure nécessaire n’a été prise pour assurer la conformité de la législation française avec les dispositions de la directive.

La Commission reproche à la France, par son système de taxes locales sur l’électricité, de procéder à une différenciation des taxes sur une base locale. Dès lors, un consommateur qui réside dans une commune donnée ne paie pas les mêmes taxes qu’un consommateur résidant dans une autre commune ou un autre département. Un tel système ne serait pas conforme aux dispositions de la directive.

Par ailleurs, la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 dite loi NOME (nouvelle organisation du marché de l’électricité) maintient une différenciation des taxes sur une base locale, ce qui serait contraire à la directive (v. les dispositions des articles L 2333-2 et suivants et celles des articles L 3333-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales).

Taxation des institutions caritatives étrangères

Depuis l’arrêt Persche (CJCE 27 janvier 2009, aff. C-318/07), il est acquis que l’article 63 du TFUE (relatif à la libre circulation des capitaux) s’oppose à une législation d’un Etat membre en vertu de laquelle, en ce qui concerne les dons faits à des organismes reconnus d’intérêt général, le bénéfice de la déduction fiscale n’est accordé que par rapport aux dons effectués à des organismes établis sur le territoire national, sans possibilité aucune pour le contribuable de démontrer qu’un don versé à un organisme établi dans un autre Etat membre satisfait aux conditions imposées par ladite législation pour l’octroi d’un tel bénéfice.

C’est notamment à l’appui de cette jurisprudence que la Commission européenne a décidé de traduire devant la CJUE les Pays-Bas pour discrimination fiscale à l’encontre des institutions caritatives étrangères après lui avoir adressé un avis motivé en mars 2010.

Ainsi, le droit fiscal néerlandais interdit que les donations effectuées en faveur d’institutions caritatives étrangères puissent faire l’objet d’un allègement fiscal si l’institution caritative concernée n’est pas enregistrée aux Pays-Bas. Dans la pratique, cette règle est susceptible de décourager les contribuables néerlandais à faire des donations aux institutions caritatives étrangères qui ne sont pas enregistrées aux Pays-Bas. La Commission considère cette exigence comme disproportionnée et contraire à la libre circulation des capitaux.

A ce titre, il convient de rappeler que la France fait également l’objet d’une procédure d’infraction concernant des donations en faveur d’institutions caritatives étrangères. La Commission lui a envoyé une demande formelle (avis motivé) visant à modifier le régime fiscal des donations à l’égard des organismes d’intérêt général et sans but lucratif (OSBL, pour une critique des critères d’appréciation d’un OSBL voir  » Libertés fondamentales, flux de capitaux et fonds européens : une équation en voie de résolution ? « ) ayant leur siège dans un autre Etat membre de l’UE ou de l’EEE. La France accorde une exemption d’impôt sur les dividendes et de droits de mutation à titre gratuit aux organismes publics, d’utilité publique et notamment à ceux à caractère charitable, uniquement s’ils sont établis en France. Par ailleurs, la France n’accorde une déduction fiscale aux donateurs que pour les dons ou les cotisations versées à des organismes sans but lucratif qui exercent leur activité sur le territoire français.

Taxation des plus-values

La Commission européenne a adressés un avis motivé à la Belgique afin qu’elle modifie ses règles d’imposition des plus-values. En effet, elles seraient discriminatoires à l’égard des actifs situés hors de Belgique et enfreindraient les règles fondamentales du marché unique (liberté d’établissement, libre prestation des services et libre circulation des capitaux ; articles 49, 56 et 63 du TFUE).

Selon la législation belge, les plus-values sur les immobilisations (e.g. immeubles, équipements ou machines), ne sont pas immédiatement imposables si elles sont réinvesties dans des actifs utilisés en Belgique. Mais cette règle ne s’applique pas si le réinvestissement est effectué dans des actifs utilisés hors du pays, auquel cas, les plus-values sont immédiatement imposées. Par conséquent, les sociétés qui investissent dans des actifs situés ailleurs dans l’UE ou dans l’EEE ne bénéficient pas du différé d’imposition différée.

Imposition à la sortie

L’Irlande a officiellement reçu de la Commission européenne un avis motivé visant à ce qu’elle modifie les dispositions de sa législation fiscale qui obligent les sociétés à s’acquitter d’une taxe de sortie lorsqu’elles cessent d’être fiscalement domiciliées en Irlande. La Commission considère que ces dispositions sont incompatibles avec la liberté d’établissement prévue par le traité, ainsi que par l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) et en cas de défaut de réponse satisfaisante dans un délai de deux mois, la Commission pourra saisir la CJUE.

En vertu de la législation fiscale irlandaise, les sociétés sont imposées sur leurs gains en capital non réalisés lorsqu’elles transfèrent leur centre principal de gestion ou de direction dans un autre Etat membre. Or, les transferts du même type à l’intérieur du territoire irlandais ne donnent pas lieu à pareille taxation des gains en capital non réalisé. Cela constituerait une restriction infligée aux sociétés qui souhaitent transférer leur centre décisionnel à l’étranger. En effet, une telle réglementation serait de nature à dissuader les entreprises d’exercer leurs droits en matière de liberté d’établissement.

Il faut rappeler que la Commission a déjà traduit devant la CJUE plusieurs Etats membres pour des régimes similaires (Portugal, Danemark, Pays-Bas et Espagne) et que la Belgique s’est vue adresser un avis motivé.

Sur la question des impositions à la sortie nous vous renvoyons à la lecture des articles suivants :  » Des taxes à la sortie dans un marché unique ? « ,  » Peut-on librement transférer des actifs en Europe depuis la France ?  » et  » Vers une plus grande fluidité des transferts de sièges dans l’UE ? Les cas irlandais, belge, portugais, danois, néerlandais et espagnol « .

Imposition des sociétés d’investissement étrangères

Après lui avoir adressé un avis motivé en juin 2010, la Commission européenne a décidé de saisir CJUE à l’encontre de la Belgique pour imposition discriminatoire des sociétés d’investissement étrangères. En effet, de l’avis de la Commission, la législation belge serait discriminatoire au regard de la libre circulation des capitaux et de la liberté d’établissement. Ainsi, les sociétés d’investissement belges ne paient pas d’impôt sur leurs revenus d’intérêts et de dividendes belges, à l’inverse de leurs homologues étrangères.

Selon la législation belge, les sociétés d’investissement nationales ne paient en pratique pas d’impôt sur leurs revenus d’intérêts et de dividendes provenant de Belgique, étant donné qu’elles bénéficient du remboursement de toute retenue à la source prélevée sur ces revenus. En revanche, les sociétés d’investissement étrangères sont soumises à une retenue à la source de 15 ou 25 % sur leurs revenus d’intérêts et de dividendes provenant de Belgique, sans pouvoir prétendre au remboursement de celle-ci. Concrètement, les sociétés d’investissement étrangères paient un impôt sur leurs revenus provenant de Belgique, à l’inverse des sociétés d’investissement belges.

Pour mémoire, nous vous renvoyons à la lecture des articles suivants sur les questions d’imposition des flux sortants à destination de fonds européens :  » Imposition des flux sortants : les enseignements du cas Aberdeen  » et  » Libertés fondamentales, flux de capitaux et fonds européens : une équation en voie de résolution ? « 

Morgan Vail

Collaborateur de septembre 2008 à mars 2012