Territorialité de l’IS, entreprise exploitée en France et installation fixe d’affaires au sens conventionnel

Au sens de la convention modèle OCDE, un établissement stable peut être constitué alors même que l’exploitation en France ne dispose d’aucune autonomie de gestion, contrairement à sa caractérisation en droit interne qui requiert une telle autonomie.

Sont passibles de l’impôt sur les sociétés en France les bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (CGI, art. 209, I, 1er alinéa). Tel est également le cas des bénéfices dont l’imposition est accordée à la France par une convention fiscale internationale (CGI, art. 209, I dernier membre de la phrase du 1er alinéa).

Notion d’établissement stable

La notion d’entreprise exploitée en France s’entend de l’exercice habituel d’une activité soit, dans le cadre d’un établissement autonome, soit, en l’absence de toute installation présentant le caractère d’un tel établissement, par l’intermédiaire de représentants qui n’ont pas de personnalité professionnelle indépendante de celle de l’entreprise qui les emploie, ou encore, de la réalisation d’opérations formant un cycle commercial complet (BOI-IS-CHAMP-60-10-10 ; CE, 12 décembre 2014, n° 356871, Société Euro-Car SPRL).

En l’espèce, une société de droit anglais était titulaire d’un bail de 9 ans portant sur un chalet situé en France où elle assurait des séminaires et stages professionnels commercialisés au Royaume-Uni, pour des clients britanniques, encadrés par des salariés de la société britannique venant en France à cette occasion (ou par des prestataires extérieurs).

La CAA de Lyon, tout en relevant que l’entreprise n’avait pas en France d’autonomie de gestion, avait conclu à la présence d’un établissement autonome au sens du droit interne. Le Conseil d’Etat censure la CAA pour erreur de qualification juridique. Il juge que la société britannique ne peut être regardée comme exploitant une entreprise en France au sens du droit interne (CGI, art. 209) en l’absence d’autonomie de gestion.

Pour autant, il confirme l’existence d’un établissement stable au sens conventionnel, et ainsi permet l’attribution à la France du droit d’imposer les bénéfices qui y sont rattachés.

Aux termes de l’article 6 de la convention fiscale franco-britannique (conforme à la convention modèle de l’OCDE), lorsqu’une société exerce son activité par l’intermédiaire d’un établissement stable situé dans l’autre Etat contractant, les bénéfices imputables à cet établissement stable sont imposables dans ce dernier Etat.

En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que la société, qui dispose en France d’une installation fixe d’affaires où elle exerçait, par l’entremise de ses salariés ainsi que de prestataires de services recevant des instructions de sa part, une partie de son activité, doit être regardée comme exerçant son activité en France par l’intermédiaire d’un établissement stable.

L’absence d’autonomie de l’établissement situé en France n’a à cet égard aucune incidence sur la caractérisation d’un établissement stable au sens conventionnel. La notion d’« établissement autonome » – employée en droit interne – et celle d’« établissement stable » ne sont donc pas en tous points identiques, et ne se recoupent pas parfaitement lorsque la convention modèle OCDE n’exige pas, pour la caractérisation d’un établissement stable, une autonomie de gestion de l’installation située en France. Dans cette hypothèse rare, la France a le droit d’imposer les bénéfices d’un tel établissement stable sur le fondement de la convention.

Caractérisation d’une activité occulte : absence d’application de la majoration de 80 %

Une activité est réputée être exercée de manière occulte lorsque le contribuable n’a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire et n’a pas fait connaître son activité à un CFE ou au greffe du tribunal de commerce (LPF, art. L. 169). La découverte d’une telle activité est alors susceptible d’entraîner l’application d’une majoration de 80 % (CGI, art. 1728-3).

Le Conseil constitutionnel (décision du 29 décembre 1999 n° 99-424 DC) a considéré que cette majoration n’était toutefois susceptible de s’appliquer qu’à la double condition, d’une part, que le contribuable n’a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, et d’autre part, que le contribuable n’est pas lui-même en mesure d’établir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ces obligations déclaratives.

En application de cette réserve d’interprétation, le Conseil d’Etat a jugé que dans le cas où le contribuable n’a pas déposé ses déclarations et n’a pas fait connaitre son activité, la preuve du caractère occulte est présumée apportée, le contribuable pouvant renverser cette présomption en faisant valoir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ces obligations déclaratives (CE, 7 décembre 2015, n° 368227, Frutas y Hortalizas SL et CE, 10 février 2016, n° 372463).

Lorsque le contribuable a satisfait à l’ensemble de ses obligations fiscales dans un Etat autre que la France, alors la justification de ladite erreur doit être appréciée en tenant compte tant du niveau d’imposition dans cet autre Etat que des modalités d’échange d’informations entre les administrations fiscales des deux Etats.

Le Conseil d’Etat fait application de cette jurisprudence. En l’espèce, il relève qu’eu égard d’une part, à l’existence d’une clause d’assistance administrative pour lutter contre l’évasion fiscale dans la convention fiscale franco-britannique et, d’autre part, à la faible différence entre le montant des cotisations supplémentaires à l’IS auxquelles l’administration française a entendu assujettir la société et celui auquel elle a été assujettie au Royaume-Uni (de l’ordre de 3 000 €), où elle avait déposé ses déclarations fiscales, cette dernière devait être regardée comme s’étant méprise sur la portée de ses obligations fiscales vis-à-vis de l’administration française. Il rejette ainsi la majoration de 80 %.

L’avis du praticien : Antoine Morterol

Dans tous les cas où l’activité en France est exercée par une société résidente d’un Etat qui a conclu avec la France une convention fiscale qui contient une définition de l’établissement stable similaire au modèle OCDE, cas le plus fréquent, la disposition en France d’un local où s’exerce son activité, fût-ce avec des salariés « expatriés » qui suivent les instructions du siège, est ainsi susceptible de constituer une installation fixe d’affaires et partant d’un établissement stable.
 
S’agissant des pénalités, le juge pourrait être moins clément en cas de différence marquée entre l’imposition effective dans le pays de siège et l’impôt qui aurait dû être acquitté en France.

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Patrick Fumenier

Patrick Fumenier a été avocat associé en charge de développer le knowledge management au sein de Deloitte Société d’Avocats de septembre 2016 jusqu’à son départ du Cabinet en janvier 2020. […]

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Antoine Morterol

Avec 30 années de pratique professionnelle, Antoine a apporté à Deloitte Société d’Avocats son expérience des problématiques fiscales des groupes, acquise à la fois en tant que conseil et en […]