Des taxes à la sortie dans un marché unique

Sous ces termes techniques la question est en réalité simple : le seul fait de transférer des actifs d’un Etat membre (EM) à un autre au sein de la Communauté européenne, sans les aliéner et sans réaliser le gain en capital sous-jacent, est-il imposable alors que le même transfert au sein d’un seul Etat membre ne l’est pas ? Et si la réponse est positive, comment alors éviter la double imposition ou la double non-imposition involontaire ?

Les exit taxes relatives aux personnes physiques

Depuis les arrêts De Lasteyrie du Saillant et N, les impositions à la sortie qui frappent des contribuables personnes physiques détenteurs de valeurs mobilières sont proscrites, à moins qu’elles ne soient conformes aux principes dégagés dans ces jurisprudences. Dans sa Communication en date du 19 décembre 2006, la Commission estime que, si, le report inconditionnel d’imposition répond aux différences de traitement entre contribuables migrants et ceux continuant à résider dans le même EM, il n’élimine pas les disparités entre régimes fiscaux nationaux. En effet des doubles impositions peuvent être engendrées, alors qu’elles doivent être évitées lors de l’exercice concurrent de la compétence fiscale des EM. La Commission a alors suggéré qu’en cas de transfert, l’EM de départ impute toute taxe qui serait prélevée par l’Etat d’accueil sur les plus-values (PV) attachées aux biens transférés et, que les EM en cause, partagent le droit d’imposition en modifiant leurs conventions fiscales. Dans tous les cas, la Commission souligne l’importance d’une coopération administrative (information et recouvrement) efficace pour qu’une solution coordonnée réussisse.

L’extension de la jurisprudence aux sociétés et premières pistes de coordination : la communication de la Commission

Dans sa Communication, la Commission estime que, dans la mesure où la Cour se réfère à la notion générale de contribuable, les principes dégagés dans ces arrêts s’appliquent également aux sociétés. Deux situations sont visées ; celle d’un transfert de siège social pour les actifs qui ne restent pas liés à un établissement stable (ES) dans l’EM depuis lequel le siège social a été transféré et celle d’un transfert d’actifs ou passifs à un ES situé dans un autre EM. En effet, à la différence des règles applicables aux transferts internes, la plupart des EM imposent ces transferts transfrontaliers car ils les assimilent à une aliénation. L’Etat de départ impose alors la différence entre la valeur vénale des actifs et des passifs au moment du transfert et leur valeur fiscale (PV, mais latente).

Coordination de l’imposition à la sortie entre Etat de départ et Etat d’accueil

Afin d’éviter les risques de violation des libertés du Traité, la Commission suggère à l’EM de départ de calculer le montant de revenu sur lequel il souhaite préserver son droit d’imposition et d’accorder un différé inconditionnel à l’impôt. Afin d’assurer une imposition ultérieure effective, il est également proposé que le contribuable remplisse une déclaration au moment du transfert qui confirme qu’il ne les a pas cédés. Ensuite, par déclaration annuelle, il informera cet EM que les actifs transférés restent en la possession de son ES dans l’autre Etat. Enfin, une déclaration devra être remplie au moment de la cession effective ou du transfert vers un Etat tiers. Consciente des risques d’abus, la Commission préconise un usage optimal des moyens de coopération administrative et propose le recours à un échange automatique d’informations dans ce domaine. Elle suggère aussi, afin d’alléger la charge administrative sur les contribuables, d’ouvrir une option pour l’imposition immédiate.

Coordination en vue d’éviter la double imposition et la double non-imposition

La Commission, gardant à l’esprit l’objectif de la mise en place d’un Marché intérieur sans entraves, souligne que l’application de méthodes d’évaluation différentes aux transferts transfrontaliers, peut conduire à des doubles impositions ou non-impositions.

La double imposition peut survenir principalement dans deux cas, et la double nonimposition dans les cas miroirs de ceux ci :

  • Transfert depuis un EM qui souhaite exercer sa compétence fiscale sur la différence de valeur entre la valeur nette comptable (VNC) et la valeur vénale au moment du départ, vers un EM qui calcule l’actif selon sa VNC et impose tout accroissement de valeur ultérieur lors de la cession de l’actif. Il y a risque de double imposition des PV concernées ;
  • Transfert vers un Etat qui attribue une valeur inférieure à l’actif. En effet, la dépréciation se trouve réduite et les PV réalisées à la cession ultérieure sont supérieures, ce qui conduit à une double imposition d’une partie des gains.

Pour éviter ces situations, la solution qui est préconisée repose sur l’acceptation par l’EM d’accueil de la valeur vénale déterminée par l’autre EM, au moment du transfert, comme valeur de départ de l’actif aux fins du calcul de l’impôt. Afin de prévenir que les contribuables ne profitent des disparités d’évaluation entre EM, en plaçant le maximum de PV taxable dans l’Etat ayant le taux d’imposition le plus faible, des arbitrages entre administrations fiscales sont envisagés quant à la détermination de cette valeur. Il est également envisageable que les EM continuent à déterminer la valeur des actifs selon les règles qui leur sont propres, mais instituent une procédure de règlement des litiges en cas de différences d’évaluation (Proche de la convention d’arbitrage 90/436/CEE ou du mécanisme généralisé destiné à éviter la double imposition au sein de l’UE.

Le cas particulier des incorporels

Certains actifs ne sont pas destinés à être cédés mais à être consommés ou à avoir une durée de vie limitée dans le temps. C’est particulièrement le cas des biens utilisés ou créés par les sociétés. Dans les situations internes, les EM utilisent fréquemment des faits générateurs autres que la cession effective pour imposer ces actifs. La Commission estime que ces autres faits générateurs devraient aussi être appliqués aux transferts transfrontaliers tout en évitant double imposition et double non-imposition.

La résolution du Conseil du 2 décembre 2008 : un traitement partiel du problème

Le Conseil ECOFIN du 2 décembre 2008 a endossé la résolution contenue dans le document 16412/08, qui traite des transferts d’activités économiques. Cette expression vise « toute opération à l’occasion de laquelle un contribuable soumis à l’impôt sur les sociétés ou une personne physique exerçant une activité professionnelle » 11 cesse d’être soumise à l’IS ou à l’IRPP dans un EM pour le devenir dans un autre ou transfère un ensemble d’actifs ou de passifs au sein d’une société.

La résolution prévoit que lorsque l’EM de départ se réserve le droit d’imposer les réserves et de reprendre les provisions, celui d’accueil peut prévoir la constitution de réserves ou provisions pour des montants identiques ou différents, selon ses propres règles d’assiette, et en permettre la déduction fiscale l’année de constitution.

Enfin, quand l’EM de départ impose les PV latentes, calculées par différence entre la valeur de marché et la VNC, l’Etat d’accueil retient cette valeur vénale à la date du transfert pour calculer la PV ultérieure en cas de cession. En cas de désaccord sur cette valeur, les EM règlent leur différend en recourant à la procédure adéquate.

Bien que cette résolution marque déjà une avancée considérable dans le domaine de la coordination, elle ne traite qu’une partie du problème : celui de la double imposition et double non-imposition. En effet, la question du moment du recouvrement de l’impôt par l’Etat de départ sur les actifs transférés n’est pas abordée ; alors même que c’est cette question qui est à la source du contentieux et des procédures d’infraction initiées par la Commission à l’encontre des EM.

Les exit taxes : entre coordination et contentieux

La coordination a été conçue pour offrir une autre voie que celle suivie jusqu’à présent, c’est-à-dire celle du contentieux. Mais la coordination ne permet d’échapper au contentieux que dans la mesure où les EM acceptent de la mettre en œuvre. Ainsi, si quelques progrès, tels les modifications législatives intervenues dans certains EM, ont permis d’arrêter les procédures d’infraction engagées ; la Commission n’envisage pas pour autant de suspendre les procédures encore en cours du seul fait de la participation des EM à l’exercice de coordination. Selon la Commission, la clôture ne pourra intervenir que lorsque les discussions en cours auront abouti à des solutions concrètes (issues de la coordination ou d’un autre moyen), conformes au droit communautaire, et à condition que leur mise en œuvre suive un calendrier crédible.

La résolution du Conseil n’ayant pas porté sur la question du moment de la collecte de l’impôt, il est intéressant d’examiner les solutions que la Commission a élaborées en vue de donner son plein effet au principe de sursis d’imposition.

Des pistes de solutions techniques afin de résoudre les questions encore en suspens

Dans la mesure où le sursis automatique ne résout qu’une partie des difficultés sans parvenir à effacer les disparités entre les régimes fiscaux des EM, tout en n’étant que d’un secours limité avec les incorporels, la Commission a suggéré d’accorder un sursis d’imposition par le recours à des provisions.

Le mécanisme serait le suivant : l’Etat de sortie calcule la PV latente et reporte l’imposition. Une ou plusieurs provisions, d’un montant équivalent à cette PV, seraient constituées et reprises progressivement sur une durée égale à la durée d’utilisation restante de chaque actif. Par mesure de simplification, cette durée pourrait être la moyenne des durées d’utilisation restante des différentes catégories d’actifs.

L’application aux actifs corporels et incorporels, goodwill compris

Pour les actifs corporels, la reprise se ferait sur une période de 5 à 10 ans, contre 10 à 15 ans pour les incorporels ; durées qui semblent raisonnables au regard des pratiques des EM.

Les cas d’imposition immédiate des PV latentes

Quatre situations devraient conduire à une imposition immédiate. D’une part, la cession et d’autre part le transfert de l’actif dans un Etat tiers. Dans ces hypothèses, il convient de prendre en compte toute diminution de valeur qui serait intervenue après le transfert. C’est en particulier le cas pour les actifs qui concurrent à la réalisation de l’activité de la société. Il semblerait en effet logique que l’Etat d’accueil prenne en charge cette perte de valeur ; dans la mesure où elle est intervenue du fait des activités de production et de service développées sur son territoire.

Le troisième cas est celui précédemment évoqué d’une option pour l’imposition immédiate (v. supra). La question se pose néanmoins de savoir si cette option doit ou non reposer sur l’approche du tout ou rien.

La dernière situation est celle des actifs destinés à être utilisés ou cédés peu après le transfert.

Le traitement des moins-values

Si les actifs transférés comportent également du passif, il convient, pour assurer la neutralité de la méthode des provisions, de traiter de manière égale les moins-values (MV) latentes. En effet, il serait anormal que les PV soient imposées dans le seul EM de départ alors que les MV seraient transférées à l’EM d’accueil sans reconnaissance de celles-ci par le premier.

La difficulté réside dans la grande variété des règles d’appréciation des actifs et dettes des sociétés entre les EM. En effet, en cas de transfert depuis un EM qui accorde peu de possibilité de constituer des provisions à un EM qui accorde plus d’importance au principe de prudence, des différends peuvent apparaître quant à la valeur des provisions transférées. Une solution serait alors d’ajuster la valeur attribuée au goodwill transféré.

Obligations déclaratives et coopération des Etats membres

La société devra effectuer des déclarations, pour son siège et ses ES, concernant l’état des reprises de provisions ou en cas de cession des actifs transférés, afin, dans cette dernière hypothèse, que l’EM de départ procède à la reprise immédiate de la provision. La réussite et l’efficacité de ces mesures nécessitera le recours aux instruments communautaires (v. supra).

Transferts vers un Etat tiers y compris les Etats de l’EEE

Dans la mesure où les Etats de l’EEE appliquent des dispositions identiques à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux et des paiements, les solutions jurisprudentielles devraient s’appliquer à ces territoires. Cependant, le droit fiscal dérivé ne s’applique pas dans ces Etats. Ainsi, les directives relatives à l’assistance administrative et au recouvrement ne peuvent être utilisées par les EM afin d’assurer la « traçabilité » des transferts impliquant l’EEE.

Néanmoins, les EM ayant, dans de nombreux cas, signés des conventions fiscales avec ces Etats qui prévoient des obligations en matière d’échange d’informations, ces dernières offrent un niveau d’assistance mutuelle équivalent aux directives. Ainsi, les principes dégagés ci-avant devraient être appliqués aux transferts à destination de l’EEE.

En tout état de cause, la Commission considère que dans les situations où un manque de coopération administrative ne permet pas aux EM de sauvegarder leurs créances fiscales, ces derniers devraient être autorisés à prendre les mesures appropriées au moment de l’émigration ou du transfert.

Enfin pour les Etats tiers, puisque ceux-ci sont concernés par la libre circulation des capitaux et des paiements, la Commission estime, pour les raisons précédemment exposées, qu’une coopération administrative insuffisante pourrait, dans certains cas, justifier une restriction dans ces circonstances.

Morgan Vail

Collaborateur de septembre 2008 à mars 2012