Taxer l’économie numérique : faut-il ouvrir la boîte de Pandore ?

Cet article a initialement été publié dans Les Echos le 8 juillet 2019. Il est reproduit sur notre blog avec l’accord de l’éditeur. Le 24 juillet 2019, le Président de la République a promulgué la loi n° 2019-759 portant création d’une taxe sur les services numériques.

Le projet de taxe « Gafa », sur le point d’être adopté, présente le risque d’un conflit fiscal avec les Etats-Unis. Il intronise aussi, selon Gianmarco Monsellato de chez Deloitte, « le principe de transfert de revenus fiscaux internationaux vers l’Asie et l’Amérique ».

Le projet de taxation de l’économie numérique n’est pas une mesure de rendement car ses recettes seront limitées. C’est une mesure de principe qui a pour objectif affiché de parvenir à une concurrence plus loyale entre les acteurs numériques et l’économie traditionnelle et ainsi de contribuer à un commerce international plus fluide.

En réalité, il risque d’atteindre l’objectif inverse à celui recherché car il représente une nouvelle étape dans la course au protectionnisme fiscal et risque de jouer contre les intérêts du Trésor français.

Le champ de la taxe est limité aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires numérique supérieur à 750 millions d’euros, donc des entreprises de grande taille. La vaste majorité des entreprises concernées par cette taxe sera étrangère, plus particulièrement américaine. Son mécanisme de calcul fait qu’elle ne sera pas déductible de l’impôt payé à l’étranger. Entraîne-t-elle une double imposition au détriment des entreprises contraire aux engagements internationaux de la France ? Ce serait le cas si elle correspond à un impôt sur le revenu. Le législateur estime que non. Pourtant, la Commission européenne a déjà estimé qu’elle ne correspondait pas à une taxe sur le chiffre d’affaires. Ce n’est pas non plus un impôt sur la production, que le gouvernement cherche par ailleurs à réduire. Par élimination, cette nouvelle taxe ressemble fort à un impôt sur le revenu. Ce qui a amené deux députés américains à saisir leur administration fiscale pour qu’elle fasse valoir ses droits face à cette double imposition française. La scène du scénario protectionniste est dressée.

Un impôt sur le revenu international

Il est vrai que cette taxe est présentée comme temporaire jusqu’à ce qu’une solution internationale soit trouvée. Or, là réside un danger encore plus grand qu’un conflit commercial avec les Etats-Unis. En effet, elle intronise le principe d’imposition des revenus internationaux en priorité dans les pays de consommation et ce, pas seulement pour les entreprises numériques, mais pour l’économie tout entière. Ce qui est logique tant le concept d’économie numérique est un faux-sens dans la mesure où toute l’économie devient numérique.

Or, jusqu’à présent, le principe international était l’imposition dans les pays de résidence, autrement dit d’investissement. Cela a pour avantage de favoriser les pays à forte innovation mais à marché intérieur moyen ou étroit, comme la France. La Chine, l’Inde, les Etats-Unis militent pour basculer vers la priorité de taxation dans les pays de consommation, c’est-à-dire à marché intérieur important, donc eux. Dans ce système, les pays de petite ou moyenne taille disposant de politiques publiques favorisant l’innovation se trouveraient défavorisés par rapport à ceux à vaste marché de consommation. Un tel système ne peut être à l’avantage de la France.

Solution mondiale

Dès lors, ce projet de taxe numérique non seulement présente le risque d’un conflit fiscal avec les Etats-Unis, mais elle intronise le principe de transfert de revenus fiscaux internationaux vers l’Asie et l’Amérique, ce qui ne pourra se faire qu’au détriment du budget français. Pour les entreprises, cette mutation ne pourra qu’entraîner des doubles impositions qui alourdiront le coût fiscal des investissements internationaux à un moment où ceux-ci sont si importants pour la création d’emploi.

Voilà des conséquences importantes pour une taxe dont les ambitions budgétaires sont pourtant limitées. L’Union européenne, qui a un projet similaire, a choisi de laisser le temps à l’OCDE d’aboutir à une solution internationale, ne souhaitant pas ouvrir la boîte de Pandore sans être certaine de comprendre ce qu’elle contenait. Avancer seul sur la fiscalité numérique est un chemin semé d’embûches.

Gianmarco Monsellato

Diplômé d’HEC, Gianmarco Monsellato a été avocat au sein de Deloitte & Touche Juridique et Fiscal avant de devenir CEO et Managing Partner (2004 – 2016) de cette entité devenue […]