Revenus réputés distribués et notion de « maître de l’affaire »

Deux décisions de juridictions du fond (CAA de Lyon et TA de Cergy-Pontoise) viennent préciser les conditions d’application de la présomption dite du « maître de l’affaire », en matière de revenus réputés distribués.

Rappel des principes applicables

Pour mémoire, l’article 109, 1, 1° du CGI pose une présomption légale de distribution à l’égard de tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. Pour l’application de ces dispositions, les bénéfices s’entendent de ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’IS, notamment après application, le cas échéant, des redressements qui ont pu être apportés à la suite d’une vérification des bénéfices déclarés (CGI, art. 110, al. 1).

Cette présomption légale, de portée générale, s’applique :

Par ailleurs, conformément au principe de l’indépendance des procédures, la présomption légale de distribution est opposable à la société mais non à ses associés. Ainsi, en cas de contestation par le bénéficiaire présumé des distributions, l’Administration supporte la charge de la preuve de l’appréhension par l’intéressé des revenus distribués.

Cela étant, la théorie du maître de l’affaire permet à l’Administration de présumer que ce dernier est le bénéficiaire des revenus réputés distribués (notamment, CE, 30 décembre 2011, n°332088).

La décision de la CAA de Lyon : la qualification de maître de l’affaire ne dépend pas de l’appréhension effective des sommes litigieuses

En l’espèce, une société (SELAS exploitant une pharmacie) a fait l’objet d’une vérification de comptabilité, à l’issue de laquelle l’Administration a mis à sa charge des rehaussements d’impôt.

Les omissions de recettes ont été considérées comme des revenus distribués imposables entre les mains de l’un des associés, sur le fondement de l’article 109, 1, 1° du CGI, l’Administration entendant mettre en œuvre la présomption du maître de l’affaire.

La Cour rappelle, en premier lieu, que la qualité de maître de l’affaire suffit à regarder le contribuable comme le bénéficiaire des revenus réputés distribués par la société, peu important à cet égard qu’il n’aurait pas effectivement appréhendé les sommes correspondantes ou qu’elles auraient été versées à des tiers (en ce sens, CE, 29 juin 2020, n°432815).

Elle relève, ensuite, que l’associé en cause était l’unique dirigeant de la société (les autres associés ne travaillant pas en son sein), et qu’à ce titre, bien que n’étant associé qu’à hauteur de 25 %, il disposait, en application de la loi du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire, ainsi qu’en application des statuts de la société, de la majorité des droits de vote pour exercer pleinement son pouvoir de décision.

En outre, l’Administration produit des réponses des établissements bancaires concernés indiquant que cet associé était le seul à disposer de la signature sur les comptes bancaires de la pharmacie.

Aussi, la Cour juge-t-elle que la qualité de maître de l’affaire est bien établie.

La décision du TA de Cergy-Pontoise : exercice d’une activité occulte en France et revenus réputés distribués

L’Administration a établi qu’une société panaméenne, spécialisée dans l’achat et la revente de matériel audiovisuel, exerçait, via un établissement stable non déclaré, une activité occulte en France.

Par ailleurs, les co-dirigeants de fait de la société panaméenne, domiciliés en France, ont fait l’objet d’un ESFP, à l’issue duquel ils ont été redressés sur le fondement de l’article 109, 1, 1° du CGI à raison des revenus réputés distribués par la société.

L’un des contribuables, se référant sans doute implicitement à une récente décision du Conseil d’État, arguait que l’imputation, après un redressement, de bénéfices réalisés par une société étrangère, à un établissement stable situé en France, ne saurait, par elle-même, révéler l’existence d’une distribution de revenus par cette société (CE, 8 février 2019, n°410301).

Or, ainsi que le relève le TA, il ne s’agissait pas ici de l’imputation de bénéfices à un établissement stable, mais bien de la mise en évidence d’une activité occulte en France. A cet égard, il souligne que l’exercice de cette activité n’a pas été retracée dans la comptabilité de la société panaméenne et que les bénéfices en résultant n’ont été ni déclarés, ni soumis à l’impôt au Panama.

Aussi le TA juge que les bénéfices mis en évidence à l’issue d’un redressement révélant l’exercice d’une activité occulte en France doivent être regardés comme distribués en application des dispositions de l’article 109, 1, 1° du CGI (en ce sens, CE 27 mars 2020, n°421627).

Le TA juge ensuite que, dès lors que l’Administration a identifié 2 maîtres de l’affaire à parts égales, il lui appartient de démontrer que le contribuable a bien appréhendé 50 % des revenus distribués en litige.

Il relève à cet égard que :

  • Si les 2 contribuables ne sont pas les associés officiels de la société panaméenne, ils ont indiqué eux-mêmes l’avoir créée et en être les co-dirigeants de fait 
  • Sur certaines factures des fournisseurs de la société panaméenne, les coordonnées figurant en référence étaient celles d’une autre société, dont ils étaient tous les 2 co-gérants et associés à parts égales 
  • Les commandes de la société panaméenne étaient passées directement depuis la France, soit par l’un, soit par l’autre 
  • Le compte bancaire de la société panaméenne, ouvert dans une banque lettonne, a alimenté des prélèvements personnels effectués par les 2 contribuables, à l’aide de cartes bancaires mises à leur disposition exclusive 
  • Ils bénéficient tous les 2 du même contrat d’assurance décès

Dès lors, le Tribunal juge que l’Administration doit être regardée comme apportant la preuve que les 2 contribuables, dont il ne résulte pas de l’instruction que l’un aurait pris un quelconque ascendant sur l’autre, se sont eux seuls entendus dans le cadre d’un montage destiné à développer une activité occulte commune pour appréhender à parts égales le bénéfice non déclaré réalisé par la société panaméenne en France par l’intermédiaire de son établissement stable.

Aussi l’Administration pouvait-elle imposer à bon droit le contribuable à raison de 50 % de ce bénéfice en application des dispositions de l’article 109, 1, 1°.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.