Des relèvements d’impôts inévitables pour stabiliser les finances publiques ?

Au-delà d’une vigoureuse réduction des dépenses publiques dans les domaines des retraites et de la santé ainsi que de la suppression des niches fiscales qui ne sont pas solidement justifiées, l’OCDE, dans sa nouvelle contribution aux travaux de la Commission Attali suggère plusieurs pistes pour des relèvements d’impôts dans des domaines où l’impact sur la croissance est moins fort : « Il s’agirait essentiellement d’alléger la forte imposition actuelle pesant sur le travail (impôt sur le revenu plus cotisations sociales) et d’augmenter les taxes visant à tarifer les externalités négatives (taxes environnementales ou « pigouviennes ») ainsi que les impôts sur la propriété… Enfin un certain relèvement de la TVA peut s’avérer nécessaire si les mesures précitées ne suffisent pas à maîtriser le déséquilibre budgétaire. Pour des raisons d’efficacité, il vaudrait mieux en premier lieu égaliser les taux applicables aux différents produits et services plutôt qu’augmenter le taux normal ». Nul doute : cela appelle quelques commentaires dans le cas de notre pays !

Passons sur le débat sur les niches fiscales, non pas qu’il soit sans importance, bien au contraire nous avons déjà clairement avancé dans différentes tribunes un plaidoyer en faveur d’un sérieux élargissement des assiettes, notamment pour l’imposition des sociétés dans un cadre européen.

Concentrons cette fois l’analyse sur les autres recommandations de l’OCDE car elles ne sont pas sans soulever des interrogations.

Les taxes environnementales en premier lieu. A cet égard les statistiques publiées par la Commission européenne (Tendances de la fiscalité dans l’Union européenne 2009) sont très parlantes : sur la base des comptes nationaux 2007, la France avec 2,1% du PIB occupait le 21e rang quant à l’importance de sa fiscalité environnementale (moyenne européenne à 27 de 2,7%) et encore, cela était largement dû à la part de l’énergie dans le total. Il y a donc de la marge pour relever cette forme de fiscalité ainsi que la fiscalité énergétique en général (laquelle demeure sensiblement inférieure à celle de nos partenaires européens) mais après les difficultés de la taxe carbone et compte tenu des atermoiements de la Commission européenne, dont on attend toujours les propositions de révision de la directive fiscalité de l’énergie qui doit inclure un volet CO2, il est à craindre que le recours à cet instrument vienne bien tard et bien faiblement pour contribuer au redressement des finances publiques françaises !

Les impôts sur la propriété : vaste débat que le rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires sur la fiscalité du patrimoine des ménages présenté en mars 2009 a contribué à éclairer. On y voit notamment que le poids des impôts sur la propriété des ménages est déjà relativement élevé en France, se rapprochant des niveaux des pays anglo-saxons qui traditionnellement ont une fiscalité (locale) élevée sur la propriété. Les marges de manœuvre si elles existent –notamment du fait de l’absence de révision générale des valeurs locatives- ne sont pas considérables mais surtout ces recettes vont pour une large part aux collectivités territoriales (voir L’autonomie fiscale des collectivités territoriales, histoire d’une relation « amour-haine » entre l’Etat et les collectivités territoriales) et ne pourront donc guère apporter de contribution sérieuse à la réduction des déficits.

Reste la TVA ? Dans ce domaine bien des arguments peuvent actuellement être avancés. Au plan global, il est utile de noter que le taux implicite d’imposition de la consommation en France a diminué (de 20,9% en 2000 à 19,5% en 2007) alors qu’il augmentait au cours de la même période dans l’UE-27 (de 20,9 à 22,2%).

S’agissant des taux de TVA, si l’on retient la suggestion de l’OCDE de réduire le nombre de biens et services bénéficiant d’un taux réduit de TVA, on peut observer, sur base d’une étude de la Commission européenne de 2004 que la France dispose d’un certain potentiel : son taux effectif de TVA est de l’ordre de 15% (probablement inférieur si l’on tient compte des concessions récentes) pour un taux normal de 19,6%, soit près de 5 points d’écart. Par comparaison l‘écart n’est que de l’ordre de 3 points en Allemagne, ce qui signifie qu’en se rapprochant d’un tel niveau la recette TVA de la France serait supérieure de quelque 15 milliards d’euros ! Des travaux récents au Royaume-Uni (The Mirrlees Review) ont montré qu’en supprimant la plupart des exonérations et taux réduits (notamment le célèbre taux zéro sur un certain nombre de produits) et en instituant en remplacement des aides sociales directes pour assurer l’équité on pouvait améliorer la recette TVA de 23 milliards £ en partie compensée pour les revenus les plus faibles par une aide directe de 11 milliards de £ ; soit une amélioration nette des recettes de 12 milliards de £. La création parfois évoquée en France d’un second taux réduit de TVA à 10 ou 12% qui viserait certaines niches fiscales TVA (TVA sur restauration ou TVA sur Travaux) pourrait en partie contribuer à cet objectif.

Un second domaine de réflexion concerne le serpent de mer de la TVA dite sociale. Evitons ce débat mais sans en perdre le bénéfice essentiel : au-delà de la suppression ciblée (ou de la hausse) de certains taux réduits de TVA, un relèvement du taux normal est possible avec un accompagnement social approprié pour ne pas détériorer la situation des plus démunis. Mais cela n’a de sens que si l’on est capable simultanément de déterminer quelles charges sociales peuvent en contrepartie être abaissées pour en tirer un certain effet compétitivité et s’ajuster ainsi à la situation qui prévaut en Allemagne depuis le relèvement de la TVA à 19% !

Pour autant la réflexion sur la TVA ne doit pas s’arrêter là : le système de TVA de l’Union européenne vieillit mal, ses points faibles sont de plus en plus exploités par les fraudeurs, son efficacité et sa neutralité ne sont plus assurés. Une réforme qui en élargirait l’assiette à l’image des pays qui ont le plus récemment adopté la TVA (Australie, Nouvelle Zélande, etc.) et qui simultanément remplacerait le taux zéro actuellement appliqué aux transactions intracommunautaires par un taux de, par exemple, 15% (minimum communautaire actuel) permettrait tout à la fois de mieux lutter contre la fraude carrousel et d’obtenir un effet immédiat de trésorerie fort bienvenu dans la situation actuelle.

Pour conclure, il apparaît que, dans le cas de la France, seule la TVA offre quelques perspectives immédiates pour améliorer rapidement la situation budgétaire, les autres suggestions de l’OCDE paraissant un peu courtes pour les besoins de notre pays. Toutefois, cela ne nous épargnera pas le besoin d’une réforme fiscale en profondeur fondée sur l’élargissement des assiettes fiscales, tant pour l’IRPP que pour l’IS, les pistes en sont bien connues.

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Michel Aujean

Michel Aujean, ancien directeur des analyses et politiques fiscales à la Commission européenne, a été associé au sein du cabinet Deloitte Société d’Avocats en charge du pôle Prospective fiscale et […]