Régime belge d’exonération des « bénéfices excédentaires » et aides d’État

Selon la CJUE, le Tribunal de l’UE a jugé, à tort, que le régime belge d’exonération des bénéfices excédentaires relevant d’une décision fiscale anticipée (« ruling ») ne constituait pas un régime d’aide illégal au sens du droit de l’UE.

Rappel du contexte

Depuis 2005, la Belgique applique un système d’exonération des bénéfices excédentaires des entités belges intégrées à des groupes multinationaux de sociétés. Ces entités pouvaient bénéficier d’une décision anticipée (ruling) de la part des autorités fiscales belges, lorsqu’elles étaient en mesure de faire valoir l’existence d’une situation nouvelle, telle qu’une réorganisation entraînant la relocalisation de l’entrepreneur central en Belgique, la création d’emplois ou des investissements. Dans ce cadre, étaient exonérés de l’impôt sur les sociétés les bénéfices considérés comme étant « excédentaires », en ce qu’ils dépassaient les bénéfices que des entités autonomes comparables auraient réalisés dans des circonstances similaires (article 185, 2 du Code des impôts sur les revenus et circulaire administrative du 4 juillet 2006).

Concrètement, la différence entre le bénéfice comptabilisé par une société belge faisant partie d’un groupe multinational et le bénéfice moyen hypothétique qu’une société autonome se trouvant dans une situation comparable aurait comptabilisé est considérée comme un « bénéfice excédentaire » dont les autorités fiscales belges autorisaient la déduction du résultat imposable de la multinationale en Belgique.

À l’issue d’une enquête approfondie, la Commission européenne a concluque les avantages fiscaux sélectifs octroyés au titre de ce régime étaient illégaux au regard des règles européennes en matière d’aides d’État (Décision (UE) 2016/1699 du 11 janvier 2016). Elle a donc ordonné à la Belgique de demander aux entreprises concernées de reverser l’intégralité des impôts impayés – estimés à 700 m€ par la Commission.

Le Tribunal de l’UE a par la suite annulé la décision de la Commission, estimant que celle-ci avait, à tort, qualifié le régime d’exonération des bénéfices excédentaires belge de « régime d’aide » au sens de l’article 1, d) du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil (Arrêt du 14 février 2019, T-131/16 et T-263/16, Belgique et Magnetrol International c/ Commission).

Un pourvoi contre cette décision du Tribunal de l’UE a été formé devant la CJUE par la Commission européenne.

La décision de la CJUE

Pour trancher du litige, la CJUE rappelle notamment que la qualification d’une mesure étatique en tant que régime d’aide tel que défini par l’article 1, d) du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil suppose la réunion de 3 conditions :

  • Les aides sont octroyées individuellement à des entreprises sur le fondement d’une disposition – ce qui peut relever selon la Cour d’une pratique administrative constante des autorités d’un État membre, lorsque cette pratique révèle une « ligne systématique de conduite ». Dès lors, elle estime qu’en limitant son analyse aux seuls actes visés, le Tribunal de l’UE a procédé à une application erronée de la notion de « disposition »
  • Aucune mesure d’application supplémentaire n’est requise pour l’octroi de ces aides (i.e. les autorités fiscales ne disposent d’aucun pouvoir d’appréciation) – La CJUE considère, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, que l’identification d’une pratique systématique (les autorités fiscales belges ont systématiquement accordé l’exonération des bénéfices excédentaires dans les situations relevant effectivement de son champ d’application) était susceptible de constituer un élément pertinent dans le cadre d’une appréciation de l’ensemble des circonstances de nature à déceler en fait, un régime d’aides, permettant, le cas échéant d’établir que ces autorités fiscales ne disposaient en réalité d’aucun pouvoir d’appréciation
  • Les entreprises auxquelles les aides peuvent être octroyées sont définies « de manière générale et abstraite » – La CJUE déduit, des erreurs de droit commises par le Tribunal de l’UE dans l’analyse des 2 premières conditions, une analyse erronée de cette 3condition.

Au regard de ces diverses constations et des erreurs commises par le Tribunal de l’UE, la CJUE annule la décision. Elle lui renvoie l’affaire afin qu’il statue sur les moyens qui n’ont pu être jugés sur le fond.

Par ailleurs, relevons que la CJUE retient l’échantillon de 22 « rulings » sur les 66 mis en avant par la Commission européenne pour procéder à la démonstration de l’existence d’une « ligne systématique de conduite » des autorités fiscales belges dans l’octroi de l’exonération des bénéfices excédentaires, pourtant remis en cause par le Tribunal de l’UE.

Il conviendra d’attendre la position du Tribunal de l’UE.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]