La réforme fiscale américaine : Projet de la Chambre des représentants révisé et comparaison avec le projet du Sénat

Le 2 novembre 2017, la Chambre des représentants a publié un premier projet de réforme fiscale, le « Tax Cuts and Jobs Act ». Ce projet a été revu et amendé par l’équivalent de la Commission des finances de la Chambre des représentants le 9 novembre. En parallèle, le Sénat américain a également publié sa version du texte.

Le résumé ci-dessous est une version consolidée des deux textes et indique, lorsqu’il y a lieu, les principales divergences entre les propositions des deux Chambres.

Principaux changements applicables aux flux « US outbound »

Sauf indication contraire, les modifications proposées entreraient en vigueur pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2018

Excise tax/mesure anti-érosion de base fiscale

Il s’agit d’une nouvelle version de la défunte « Border Adjustable Tax » qui visait à rendre non déductibles tous les paiements effectués par des entités US au profit de bénéficiaires non-US.

Champ d’application

Cette taxe s’appliquerait uniquement aux flux intragroupes.

Elle concernerait tous types de flux (marchandises, prestations intellectuelles, actifs…) dès lors qu’ils seraient traités comme fiscalement déductibles de la base imposable de la société US ou dès lors qu’ils feraient l’objet d’un amortissement également déductible (ou seraient inclus dans la base amortissable d’un actif détenu par la société US).

Taux

Les projets de la Chambre des Représentants et du Sénat divergent sur le taux et l’assiette de cette taxe.

Selon le projet de la Chambre des Représentants, la taxe s’élèverait à 20 % du montant des paiements entrant dans son champ d’application.

Selon le projet du Sénat, l’assiette serait constituée par la différence entre, d’une part un montant égal à 10 % de la base imposable de la société US déterminée dans les conditions de droit commun et augmentée des flux intragroupes visés, et d’autre part le montant de la charge fiscale nette de cette même entité, déduction faite de certains crédits d’impôts imputables (hors crédits d’impôt étrangers).

Exceptions

La version du Sénat ne prévoit qu’une exception pour les sociétés ou les groupes fiscaux US dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 millions USD ou pour ceux dont la part de dépenses intragroupe déductibles n’excède pas 4 % du total de leurs dépenses déductibles. Un récent amendement exclurait également les achats de marchandises.

En revanche, l’excise tax prévue par la Chambre des représentants s’appliquerait à tous paiements sauf :

  • Les intérêts (cf ci-dessous pour les nouvelles règles limitant la déductibilité des intérêts)
  • Les paiements au profit d’entités non-résidentes si celles-ci optent pour une allocation à un établissement stable US (Il s’agit en réalité d’une option pour traiter le revenu comme un Efficiency Connected Income ou ECI, ce qui pourrait ne pas être considéré comme un ES par le pays bénéficiaire) – donc soumis à l’IS US mais uniquement sur la marge dégagée par le bénéficiaire étranger (cf ci-dessous les modifications proposées concernant le taux de l’IS). L’entreprise ayant opté pour la requalification des flux concernés en ECI pourrait déduire de l’impôt US 80 % des impôts supportés dans l’Etat de résidence afin de limiter les effets de la double imposition
  • Les paiements en contrepartie de prestations de services dès lors que ces services seraient facturés sans marge
  • Application d’un seuil de minimis : la taxe ne s’appliquerait pas si le montant cumulé des paiements intragroupe entrant dans le champ de la taxe n’excède pas 100 millions USD au cours d’un même exercice

Sociétés françaises potentiellement concernées

Toutes, dès lors que leur filiale aux Etats-Unis se fournit en matières premières, pièces détachées, produit finis, utilise des brevets ou des marques auprès d’autres entités du groupe hors US, et que le total de ces achats excède 100 millions USD/an (ou, dans la version proposée par le Sénat, si son chiffre d’affaires n’excède pas 500 millions USD). Une attention particulière devra être portée aux investissements dans la mesure où le champ inclut également les acquisitions d’actifs amortissables.

Entrée en vigueur

La taxe s’appliquerait aux paiements effectués à compter du 31 décembre 2018.

A ce stade, en raison de l’importante différence d’approche entre les deux versions (taux, assiette, exceptions), seule une simulation des impacts société par société pourra permettre d’évaluer si l’une est plus susceptible de pénaliser les filiales US des groupes français que l’autre.

Nouvelle règle de limitation des intérêts

On notera à titre préliminaire que le projet présenté ne traite pas de la question des limitations prévues par la section 385 entrée en vigueur en avril 2016. En conséquence, les limitations introduites par le projet se cumuleraient avec ces règles existantes.

En revanche, les règles de la section 163(j) « earning stripping rules » (anciennes règles de sous-capitalisation, prévoyant, de façon synthétique, la non-déduction d’intérêts pour les entreprises dont le ratio dette/capitaux propres excède 1,5/1 dès lors que les intérêts représentent plus de 50 % du résultat fiscal ajusté) seraient supprimées dans le projet de la Chambre des représentants.

Champ d’application

La nouvelle règle s’appliquerait à tous les versements d’intérêts.

Mécanisme

Les entreprises américaines ne seraient admises à déduire leurs intérêts qu’à hauteur du plus petit des deux ratios suivants :

  • 30 % de leur résultat taxable avant intérêts et, dans le projet de la Chambre des représentants, amortissements (le résultat fiscal s’entendrait dans tous les cas avant imputation des déficits fiscaux reportables) A noter que le résultat taxable serait ajusté pour ne pas inclure les profits et charges relatifs à des activités passives. Des règles spéciales s’appliqueraient pour les partnerships 
  • Dans la version de la Chambre des représentants : 110 % du montant total de la charge financière nette du groupe multinational auquel la société US appartient, à hauteur de la proportion de l’EBITDA de la société US dans l’EBITDA (earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization) groupe (déterminé selon les normes comptables utilisées par le groupe pour l’établissement de ses propres comptes consolidés)

− Ex : groupe avec un EBITDA de 1.200 millions versant un total au cours de l’année de 100 millions d’intérêts à des tiers (et aucun revenu d’intérêt). Avec un EBITDA de 120 millions, la société US ne pourra déduire que : 100 x 110% x (120/1.200) = 11 millions d’intérêts, sous réserve que ces 11 millions n’excèdent pas 30 % de son résultat fiscal avant intérêts et amortissements;

  • Dans la version du Sénat : de façon très simplifiée, les intérêts à raison de la dette US lorsque le ratio dette/capitaux propres de la société US excède 110 % du ratio dette/capitaux propres du groupe multinational auquel elle appartient.

Les intérêts non déductibles seraient reportables en avant, pendant 5 ans selon le texte de la Chambre des représentants, indéfiniment dans la version du Sénat. Des restrictions s’appliqueraient en cas de changement d’actionnaire comme actuellement pour les déficits reportables.

Exceptions

Aucune, à l’exception des PME (Voir ci-dessous). En contrepartie, ces entreprises ne pourraient bénéficier de la mesure de déduction immédiate de certains investissements (Voir ci-dessous).

Sociétés françaises potentiellement concernées

Seraient particulièrement impactées :

  • les sociétés en pertes aux Etats-Unis 
  • les sociétés appartenant à un groupe fiscal US en pertes 
  • celles en phase d’investissement et exerçant l’option pour une déduction du coût de leurs investissements éligibles (Voir ci-dessous) réduisant ainsi leur base imposable 
  • les activités générant de façon générale de faibles marges 
  • les filiales US appartenant à des groupes peu ou pas endettés

Principaux changements applicables aux activités exercées aux USA

Diminution du taux de l’IS

Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2018 (selon le texte de la Chambre des représentants) ou 2019 (selon le texte du Sénat), tous les bénéfices imposables seraient imposés au taux unique de 20 %.

Comme pour la baisse de l’IS en France, cette baisse programmée de l’IS US aurait pour conséquence dévaloriser les stocks d’impôts différés actifs (comme les déficits) présents dans les comptes consolidés des groupes français.

Suppression de l’Alternative Minimum Tax (AMT)

L’AMT, soit l’impôt minimum dû par les sociétés n’ayant pas de revenu imposable, serait définitivement supprimé en contrepartie de l’instauration d’une limitation à l’imputation des déficits reportables (Voir ci-dessous les modifications relatives aux reports déficitaires). Les crédits d’AMT non encore utilisés pourraient être remboursés à compter de 2022, voire, dans la version du Sénat, à hauteur de 50 % au cours des exercices 2018 à 2020, et entièrement à compter de 2021.

Seraient ainsi favorablement impactées les sociétés structurellement ou régulièrement en pertes et redevables à ce titre de l’AMT.

Limitation de l’utilisation des reports déficitaires

Champ d’application

Déficits fiscaux ordinaires générés à compter des exercices 2018 et suivants. Les déficits fiscaux reportables à la clôture de l’exercice 2017 demeureraient soumis au régime fiscal antérieur.

Mécanisme

Les règles relatives à l’utilisation des déficits seraient durcies de façon à éviter que des groupes antérieurement déficitaires ne payent aucun impôt lors de leur retour aux bénéfices. Ainsi :

  • Les déficits ne pourraient plus s’imputer qu’à hauteur de 90 % des bénéfices imposables ;
  • Le carry-back ne serait plus permis (sauf pour les PME)

En contrepartie, les déficits acquerraient une durée de vie illimitée (contre 20 ans aujourd’hui) et seraient revalorisés chaque année d’un taux d’intérêt fixé par la loi. Cette revalorisation annuelle est cependant absente du projet présenté par le Sénat.

La limitation de l’imputation des déficits pourrait être de nature à ralentir leur utilisation dans le temps, d’où un impact potentiel sur leur valorisation dans les comptes consolidés comme impôts différés actifs. Le projet prévoit néanmoins un mécanisme de revalorisation annuelle restant à détailler. Cette limitation doit néanmoins être nuancée à la lumière de la suppression du délai d’expiration de 20 ans pour les déficits les plus anciens encore reportables.

Mesure anti-hybrides

Cette mesure à ce jour résulte uniquement du projet présenté par le Sénat.

Champ d’application

Tout paiement de type intérêts ou redevances, effectué au profit d’une ou plusieurs entités liées, et relevant d’une transaction qualifiée d’hybride, ou dont le bénéficiaire est lui-même une entité qualifiée d’hybride.

Mécanisme

Seraient ainsi exclus du droit à déduction :

  • Les paiements lorsque la charge pour le contribuable US n’a pas pour corrélatif un revenu imposable équivalent entre les mains du bénéficiaire, que le paiement ne reçoive pas la même qualification (intérêt ou redevance) dans l’Etat de résidence dudit bénéficiaire, que ce dernier, en vertu de la législation fiscale de son Etat de résidence, soit éligible à un abattement sur le montant du produit reçu, ou que le produit ne soit pas inclus dans l’assiette imposable ;
  • Les paiements au profit de bénéficiaires « hybrides », c’est-à-dire :

− considérés comme transparents fiscalement en vertu de la loi fédérale US mais opaques en droit fiscal local ; ou

− fiscalement transparents en vertu du droit fiscal local mais considérés comme opaques selon la loi fédérale US.

Une deuxième mesure a été incluse dans le projet du Sénat, visant tous les paiements en contrepartie de l’utilisation d’un incorporel, effectués au profit d’une entité non résidente peu taxée à raison de ces paiements.

Ces deux mesures rappellent entre autres les dispositions de l’article 212 I b du CGI visant à restreindre la déductibilité des intérêts versés à une entité soumise à une fiscalité nulle ou notablement plus faible à raison de ces mêmes intérêts, ou ceux de l’article 238 A CGI visant plus largement les versements d’intérêts, redevances ou prestations de services versés à des entités bénéficiant d’un régime fiscal privilégié. Elle s’inscrit ainsi dans un contexte cohérent avec celui des travaux BEPS.

Divers

Possibilité de passer en déduction certains investissements

Les outillages, machines et équipements, à l’exception des investissements immobiliers y compris ceux dédiés à la production, acquis et mis en service à compter du 27 septembre 2017 et jusqu’au 1er janvier 2023, pourraient être intégralement déduits au cours de la même année en lieu et place d’un amortissement linéaire sur leur durée de vie.

Renforcement des restrictions à la déduction des frais de représentation

À titre d’exemple, les repas seraient déductibles uniquement à hauteur de 50 % de leur montant, y compris en présence de tous les justificatifs professionnels requis. Toute autre dépense de représentation, adhésion à un club ou organisme professionnel, ou prise en charge des frais de transport des employés, ne serait pas admise en déduction, y compris pour certains frais actuellement admis en déduction à hauteur de 50 % de leur montant.

Déductions particulières pour les intérêts versés par les PME

Cette mesure ne concerne que les sociétés déclarant un revenu inférieur à 25 millions USD (projet de la Chambre des représentants) ou 15 millions USD (projet du Sénat).

Déduction spéciale pour les activités de production (sec. 199(c))

Cette déduction égale à 9 % des revenus tirés d’activités de production aux Etats-Unis (ou 9 % du revenu imposable de l’exercice si inférieur) serait totalement supprimée pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2018 (version Chambre des représentants) ou 2019 (version Sénat).

Capitalisation de certaines dépenses de R&D

Conformément au projet de la Chambre des représentants, certaines dépenses de R&D devraient être capitalisées et amorties sur une période de 5 ou 15 ans selon que les activités de recherche sont conduites sur le territoire américain ou à l’étranger.

Cette mesure s’appliquerait aux dépenses de R&D engagées ou payées à compter des exercices ouverts en 2023.

Elle n’est pas reprise dans le projet du Sénat.

Principaux changements applicables aux groupes US ayant une filiale en France (ou sous-groupe US de groupes français détenant des participations étrangères)

Certains changements envisagés pourraient avoir un impact sur les demandes faites de la part des actionnaires US à leurs filiales étrangères. Cette section est donc volontairement peu détaillée dans la mesure où les aspects techniques ne relèvent pas des fiscalistes ou contrôleurs financiers français, mais vise uniquement à les informer des raisons pour lesquelles leurs homologues US envisageraient – ou non – des distributions massives.

Taxation forfaitaire des profits non distribués

L’ensemble des profits réalisés par les filiales non-US des groupes US et non encore taxés en vertu d’une règle américaine (non rapatriement du profit sous forme de dividende, absence d’applications d’autres règles fiscales US faisant échec au différé d’imposition de type « Subpart F ») seraient soumis à un impôt en tant que revenus réputés distribués. La base d’imposition serait constituée des Earnings & Profits (E&Ps) de chaque filiale au 2 novembre 2017 ou 31 décembre 2017 (l’imposition s’appliquerait au plus élevé de ces deux montants), déduction faite des E&Ps déjà taxés ou E&Ps antérieurs à 1986. Le taux dépendrait de l’allocation de ces E&Ps au bilan de la filiale : détenus sous forme de réserves liquides, elles seraient imposées à 14 % (Chambre des représentants / 10 % (Sénat , tandis que les E&Ps réinvestis en actifs mobiliers et immobiliers seraient taxés à 7 % (Chambre des représentants) / 5 % (Sénat).

L’imposition forfaitaire serait étalée sur option sur 8 ans. Les Foreign Tax Credits éventuellement disponibles pourraient s’imputer sur cette imposition.

Conséquence pratique pour les filiales françaises

Les actionnaires pourront leur demander de l’aide dans la reconstitution des E&Ps et leur allocation au bilan, ainsi que des Foreign Tax Credits si ce suivi n’a pas été fait de façon régulière par le passé.

A noter que les distributions de réserves (et donc la diminution corrélative des E&Ps) ne seraient pas prises en compte dans le calcul ci-dessus si effectuées à compter de la parution du projet, soit le 2 novembre dernier. Des distributions d’acomptes sur dividendes avant la fin de l’année sont donc peu probables.

Instauration d’un régime mère-fille pour les distributions de dividendes aux actionnaires US

Contrairement au régime actuel qui soumet les distributions aux taux de droit commun de 35 %, les produits de participations seraient entièrement exonérés d’IS dès lors que le taux de participation excède 10 %. En contrepartie, les sociétés US n’auraient plus de crédit d’impôt au titre de l’IS sur les bénéfices dont sont issus les dividendes, ni au titre d’éventuelles retenues à la source.

Conséquence pratique pour les filiales françaises

Les actionnaires pourront envisager des distributions massives en fonction de leurs besoins en cash. Un calcul de réserves distribuables, d’impact sur les ratios de déduction des intérêts et de participation des salariés, entre autres, devra être mené pour éviter de créer des sources de frottement fiscal. Par ailleurs, il conviendra vraisemblablement à cette occasion de se repencher sur les structures de détention à la lumière de l’ATAD (Anti-tax avoidance directive), certaines de ces structures étant datées et donc plus adaptées pour le bénéfice de l’exonération de retenue à la source en cas d’interposition d’une holding établie dans l’UE.

Photo de Nathalie Aymé
Nathalie Aymé

Nathalie Aymé, Avocat Associée, intervient en fiscalité française et internationale pour le compte de groupes multinationaux, principalement dans les secteurs de l’industrie et des technologies et télécommunications. Elle assiste ses […]