RDC et loi sur la sous-traitance dans le secteur privé : un champ d’application incertain

Le 8 février 2017 a été adoptée la Loi n°17/001 du 8 février 2017 fixant les règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé en République Démocratique du Congo (« RDC »). Cette loi, publiée au journal officiel du 15 février 2017, est venue préciser les dispositions générales ainsi que les principes et conditions d’exercice de la sous-traitance.

Le législateur congolais cherche, à travers cette loi, à promouvoir les petites et moyennes entreprises congolaises, ainsi que cela est expressément exprimé dans le préambule. Dans cet esprit, la loi réserve la sous-traitance dans le secteur privé aux entreprises congolaises à capitaux congolais, dont la notion a été définie ultérieurement, dans le Décret n°18/019 du 24 mai 2018.

Par « entreprises à capitaux congolais », il faut entendre les entreprises de droit congolais, dont la majorité du capital social est détenue par des personnes physiques de nationalité congolaise ou des personnes morales de droit congolais, dont les organes de gestion sont majoritairement administrés par des personnes physiques congolaises et dont le personnel est essentiellement constitué de personnes physiques de nationalité congolaise. Ces conditions sont cumulatives.

A côté du principe, des dérogations sont prévues et peuvent justifier le recours à une entreprise sous-traitante qui ne remplit pas ces critères, par exemple en cas de carence d’expertise sur le territoire congolais. Mais, la loi et ses décrets d’application encadrent strictement ces exceptions.

La loi soumet les modes de passation des contrats de sous-traitance à un régime juridique particulier et prévoie de nombreuses spécificités d’exécution en faveur des sous-traitants, notamment dans les modalités de paiement de leur rémunération.

Enfin, la loi répartissant aux échelons national, provincial et local le contrôle de la sous-traitance dans les entreprises sous-traitantes, précise que toutes les clauses contractuelles contraires sont nulles et prévoie des sanctions pécuniaires et administratives, pouvant aller jusqu’à la fermeture de l’établissement dans la limite de 6 mois maximum.

Les décrets d’application ont complété le dispositif légal, en allant parfois au-delà de la loi, et en créant une Autorité de Régulation à laquelle les sous-traitants du secteur privé doivent payer des droits, sur la base des montants facturés aux entreprises principales.

Singulièrement, cette loi et ses décrets d’application ont suscité de nombreuses discussions en RDC, aussi bien parmi les opérateurs économiques congolais qu’auprès des investisseurs étrangers ; dans un esprit de compromis, des ateliers de concertation ont été convoqués en mars 2020 à Kinshasa, afin de prendre en compte les observations des différentes parties et amender les textes. Dans le sillage de ces ateliers, de nouveaux décrets devraient être ainsi prochainement publiés.

Deux enjeux fondamentaux s’attachent à ces nouveaux décrets.

Le premier : apporter plus de lisibilité et plus de sécurité dans la qualification de la notion même de sous-traitance, dont la définition légale reste, en dépit des nombreuses discussions, trop floue et de nature à englober toute forme de prestations de services, voire de fourniture de biens comme tente de le faire prévaloir l’Autorité de régulation.

Le second enjeu tient lui à la portée générale de la loi et aux secteurs d’activité qui pourraient ne pas y être soumis, pour relever des dispositions sectorielles spécifiques.

L’adoption d’un cadre normatif contraignant pour réglementer la sous-traitance dans le secteur privé en RDC

Afin de promouvoir les petites et moyennes entreprises locales, le législateur congolais a adopté la Loi n°17/001 du 8 février 2017 pour encadrer la sous-traitance des activités dans le secteur privé en RDC.

Cette loi est, depuis 2018, complétée par des mesures d’exécution qui viennent ajouter de nouvelles contraintes au dispositif légal, tout en créant une Autorité de régulation :

A côté de ce bloc réglementaire, il convient d’indiquer également que, de façon discutable sur un plan juridique, le Directeur Général de l’Autorité de régulation de la sous-traitance a, par un communiqué de presse n°03/ARSP/2019 du 26 Août 2019, souhaité octroyer à l’Autorité qu’il dirige de nouvelles attributions, et notamment la possibilité d’agréer ou non, les entreprises sous-traitantes.

Au lendemain de leur publication, la loi et surtout ses décrets d’application ainsi que le communiqué de presse de l’Autorité de régulation ont suscité de nombreuses discussions en RDC, aussi bien parmi les opérateurs économiques congolais qu’auprès des investisseurs étrangers. De sorte que leur application a été de facto suspendue.

Dans ce sillage, des ateliers de concertation ont été convoqués en mars 2020 à Kinshasa. Ces Ateliers ont réuni le gouvernement, l’Autorité de Régulation ainsi que la Fédération des Entreprises du Congo dans le cadre de deux ateliers consacrés, l’un au Climat des Affaires, l’autre aux aspects juridiques soulevés par ces textes. Au terme de ces Ateliers, un consensus a été élaboré, et les parties ont signé un procès-verbal qui affirme la nécessité de, notamment, mieux définir le champ d’application de la Loi sur la sous-traitance, et de réévaluer les attributions de l’Autorité de régulation.

De nouveaux décrets ont été adoptés en Conseil des Ministres : les Décret n°20/024 du 12 octobre 2020 modifiant et complétant le Décret n°18/018 du 24 mai 2018 et le Décret n°20/025 du 12 octobre 2020 modifiant et complétant le Décret n°18/019 du 24 mai 2018. Toutefois, à ce jour, ces décrets ne sont toujours pas publiés au Journal Officiel.

Un champ d’application incertain

Application dans l’espace

La Loi n°17/001 du 8 février 2017 fixant les règles applicables à la sous-traitance s’applique « sur toute l’étendue du territoire national, y compris dans les espaces maritimes sous juridiction de la République Démocratique du Congo ».

Dans ce sillage, l’article 31 de la loi prévoie expressément que « (…) les entreprises étrangères titulaires de contrats de sous-traitance se constituent en sociétés de droit congolais aux fins de mener à terme l’exécution des contrats ».

De sorte que les succursales de sociétés étrangères – prévues par les actes uniformes OHADA – ne peuvent pas a priori être sous-traitantes dans le secteur privé en RDC

Application sectorielle

Conformément à son article 1, la loi « fixe les règles applicables à la sous-traitance entre personnes physiques ou morales de droit privé ». Sur la base de cette formulation, la question s’est posée de l’application de la loi aux contrats entre des sous-traitants de premier rang et des sous-traitants de second rang de droit privé, convenus à l’occasion de l’exécution d’un marché public. Sur ce point, certains commentateurs ont cru déceler dans la formulation de l’article 1 de la loi, la volonté du législateur de s’attacher davantage au statut de droit privé des acteurs de la sous-traitance, qu’à la nature du marché, privé ou public, dans lequel les contrats étaient exécutés. Force est toutefois de constater, qu’à travers les différents débats, notamment ceux qui se sont tenus lors des Assises de concertation et dans les projets de décrets successifs, qu’une telle lecture ne devrait pas prévaloir. Ainsi, quand bien même des contrats de sous-traitance seraient convenus entre deux personnes privées dans une chaîne de contrats s’inscrivant dans l’exécution d’un marché public, leurs relations demeureraient gouvernées par les dispositions du code des marchés publics, et non pas par celles de la Loi du 8 février 2017.

Sur la base de ce principe, l’article 2 de la loi inséré dans la section 2 relative au « champ d’application », prévoit expressément que « la sous-traitance concerne tous les secteurs d’activités, sauf dispositions légales régissant certains secteurs d’activités ou certaines professions ». 

Cette disposition a fait couler beaucoup d’encre.

En effet, nombreux sont en RDC les secteurs réglementés par une loi spéciale. Ainsi par exemple du secteur minier, ô combien stratégique pour l’économie nationale, mais également des secteurs des hydrocarbures, des télécommunications, de la banque et bien d’autres … A la lecture de l’article 2 de la Loi du 8 février 2017, faut-il considérer que l’ensemble de ces secteurs gouvernés par une loi spéciale échappent au champ d’application de la loi générale sur la sous-traitance dans le secteur privé ? Ou que seules les dispositions prévues par les lois sectorielles spéciales qui seraient contraires à celles de la loi générale seraient écartées ?

La question trouble d’autant les esprits des juristes que l’Autorité de régulation explique de son côté que seuls certains secteurs d’activité gouvernés par une loi spéciale, parmi lesquels les secteurs de la banque et des assurances, seraient soustraits à l’application de la loi générale, alors que d’autres secteurs également régis par des lois spéciales lui demeuraient eux soumis.

Le dernier Décret n°20/025 du 12 octobre 2020 modifiant et complétant le Décret n°18/019 du 24 mai 2018, non encore publié et donc en principe non applicable au jour de cet article, va d’ailleurs dans ce sens en disposant que « les services de placement, les assurances (…), les banques et les professions libérales (…) sont en principe exclus du champ d’application de la sous-traitance ».

Concernant le secteur minier, on comprend aisément qu’il ne figure pas dans les exceptions retenues par ce décret, dans la mesure où de façon expresse, le code minier lui-même renvoie à la loi générale. Il est donc patent que, dans le secteur minier, les liens de sous-traitance doivent être également gouvernés par la loi générale qui vient ainsi compléter les dispositions prévues dans le code minier, dès lors qu’elles ne lui sont pas contraires. Parmi les dispositions du code minier, il faut notamment relever les dispositions fiscales et douanières de faveur et, singulièrement, la définition même du « sous-traitant minier » qui diffère de la définition du « sous-traitant » prévue par la loi générale. Selon le principe que la loi spéciale déroge à la loi générale, il doit ainsi revenir en principe à la loi spéciale minière de définir le « sous-traitant minier » en référence à la définition sectorielle qu’elle consacre et, par-delà, une fois établie cette qualité, à la loi générale de compléter le dispositif et préciser le régime juridique applicable à ce « sous-traitant minier ».

Concernant les autres secteurs, dès lors que les textes spéciaux ne renvoient pas à la loi générale, il est en revanche plus difficile de comprendre sur la base de quel fondement légal ils rentreraient dans le champ d’application de celle-ci, alors que d’autres – comme les « services de placement, les assurances (…), les banques et les professions libérales (…) » – en seraient eux intégralement exclus.

Pour rappel, au point 14 du Procès-verbal signé par l’ensemble des parties, et qui avait ponctué les ateliers de concertation, il était prévu que « les parties prennent note que la volonté d’exclure par principe certains secteurs d’activités ou professions du champ d’application de la Loi est évidente. C’est le cas notamment des services de placement, des assurances (…) et des banques, qui sont régis par des loi spéciales ou sectorielles ».

Faut-il considérer que la suppression du « notamment » dans le texte du dernier Décret n°20/025 du 12 octobre 2020, modifiant et complétant le Décret n°18/019 du 24 mai 2018, vient limiter la loi générale ?

Faut-il au contraire considérer qu’il s’agit là d’une omission et, qu’à ce titre, elle sera corrigée ?

Enfin, à défaut de précision apportée dans le corps même de la loi sur ce point, une question essentielle demeure : quelle autorité décidera quel secteur est exclu du champ d’application de la loi générale, et quel ne l’est pas ?

Définition floue de la notion de « sous-traitance » apportée par la loi générale

La Loi n°17/001 du 8 février 2017 prévoie expressément les trois acteurs habituels de la sous-traitance à savoir (i) le Maître d’ouvrage, (ii) l’Entreprise principale ou Entrepreneur principal, et (iii) le Sous-traitant ou Entreprise sous-traitante.

De sorte que le lien de sous-traitance en RDC semble bien s’inscrire nécessairement dans une chaîne de contrats, comme c’est le cas dans la définition classique en droit d’inspiration romano-germanique et, singulièrement, en droit français.

Cependant, compte tenu des textes des définitions, une lecture audacieuse de la loi générale peut également conduire à comprendre que la notion de sous-traitance dans le secteur privé en RDC, au sens de la loi, désigne en réalité toute forme de prestations de services, voire de fourniture de biens, sans qu’il y ait besoin de contrat convenu en amont entre un Maître d’Ouvrage et un Entrepreneur Principal.

En effet, le sous-traitant est défini comme toute « personne physique ou morale dont l’activité, à titre habituel, temporaire ou occasionnel, est liée, par un contrat ou une convention, à la réalisation de l’activité principale ou à l’exécution d’un contrat d’une entreprise principale ».

La loi générale sur la sous-traitance vient ainsi définir le sous-traitant, alternativement, en référence à deux critères. Le premier concerne la réalisation d’une activité principale, laquelle est définie à son tour par la loi comme toute « activité signalée à titre principal dans le Registre du Commerce et du Crédit Mobilier de l’entreprise ou celle faisant l’objet du marché » et peut correspondre dès lors à l’objet social de toutes les entreprises commerciales. Le second est relatif à l’exécution d’un contrat d’une entreprise principale, entreprise principale qui est définie comme toute « personne physique ou morale qui a mobilisé les ressources financières, humaines et techniques en vue de la production des biens ou de la prestation des services », sans qu’il n’y ait de référence à un contrat passé en amont avec un maître d’ouvrage, et recouvre finalement toutes les entreprises commerciales, inscrites ou non dans une chaîne de contrats.

En procédant à une lecture littérale de la loi, et en ne tenant pas compte de la notion habituelle de « sous-traitance » qui prévaut dans le droit romano-germanique, la qualification de sous-traitance pourrait être retenue pour toute fourniture de services et biens, et non pas stricto sensu à la sous-traitance intervenant dans une chaîne de contrats.

La Loi n°17/001 du 8 février 2017 ne serait donc pas uniquement destinée à encadrer la sous-traitance dans le secteur privé en RDC, entendue de façon classique comme un lien contractuel s’inscrivant dans une chaîne de contrats, mais de façon plus générale toutes les fournitures de biens et services.

Or précisément, c’est la position que tente de faire prévaloir l’Autorité de régulation.

En effet, cette dernière a tendance à considérer que tout prestataire de services, voire tout fournisseur de biens, est un sous-traitant au sens de la loi générale. Exception faite des secteurs qui seront in fine soustraits au champ d’application de cette loi.

Les critères édictés pour pouvoir être sous-traitant dans le secteur privé en RDC

Si la Loi sur la sous-traitance pose le principe de la liberté de la sous-traitance, elle réserve cependant la sous-traitance aux entreprises à capitaux congolais promues par les congolais, quelle que soit leur forme juridique, dont le siège social est situé sur le territoire national.

Cette notion d’« entreprises à capitaux congolais promues par les congolais » – que l’on ne trouve dans aucun autre texte national ni traité (OHADA compris), a été définie par le Décret n°18/019 du 24 mai 2018, qui stipule à son article 3 que pour être réputée telle, une société doit remplir les conditions suivantes :

  • Le siège social est situé en RDC (sur ce point, on peut se poser la question du sort des succursales de sociétés étrangères dûment enregistrées au RCCM)
  • La majorité de son capital social est détenue par des personnes physiques de nationalité congolaise ou des personnes morales de droit congolais
  • Les organes de gestion sont majoritairement administrés par des personnes physiques de nationalité congolaise
  • Le personnel est essentiellement constitué des personnes physiques de nationalité congolaise.

De plus, le Communiqué de presse du Directeur Général de l’Autorité de régulation de la sous-traitance (ARSP) du 26 Août 2019 a ajouté un autre critère, qui consiste pour les personnes morales congolaises qui détiendraient une participation dans le capital d’une société sous-traitante, à être « elles-mêmes majoritairement contrôlées par des personnes physiques congolaises ».

En d’autres termes, sous réserve des exceptions prévues par la loi et de toutes précisions qui pourraient être apportées par une autre loi ou des décrets, ne peuvent être sous-traitantes en RDC que des sociétés dont le capital est détenu, directement ou indirectement, à 51% par des personnes physiques de nationalité congolaise.

On comprend ainsi facilement les doléances des acteurs économiques, qui appellent à définir plus clairement et de façon plus stricte la notion de « sous-traitance » en RDC et à mieux définir le champ d’application de la loi générale qui la gouverne.

Photo de Yves Madre
Yves Madre

Yves a commencé sa carrière en tant qu’avocat au barreau de Paris et exercé pendant près de dix ans une activité à la fois de conseil et de contentieux. Il […]

Jennyfer Ilunga

Jennyfer est une superviseure juridique et fiscale avec 4 ans d’expérience dans l’assistance juridique et fiscale. Elle travaille avec des filiales de sociétés internationales et des groupes locaux avec lesquels […]