RAS sur revenus réputés distribués et notion de « bénéfices »

La CAA de Versailles juge qu’une société française peut être soumise à une RAS en raison de revenus réputés distribués à une société étrangère non-actionnaire, dès lors que son résultat déficitaire après redressement est bénéficiaire après prise en compte des produits non imposables (i.e. dividendes soumis au régime mère-fille).

Rappel du contexte

La loi fiscale

Par application des dispositions de l’article 109 du CGI : « 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (…) ».

Aux termes de l’article 110 du CGI : « Pour l’application du 1° du 1 de l’article 109 les bénéfices s’entendent de ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés. / Toutefois, ces bénéfices sont augmentés de ceux qui sont légalement exonérés dudit impôt, y compris les produits déductibles du bénéfice net en vertu du I de l’article 216, ainsi que des bénéfices que la société a réalisés dans des entreprises exploitées hors de France et diminués des sommes payées au titre de l’impôt sur les sociétés ».

La doctrine administrative

Par ailleurs, la documentation de base DB 4-J-1213 du 1er novembre 1995 applicable au litige (reprise depuis le 12 septembre 2012 au BOI-RPPM-RCM-10-20-20-50), précise que : « I. Principes / 16 Conformément aux dispositions du 1° du 1 de l’article 109 du CGI, sont considérés comme revenus distribués, tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. / L’article 110 du CGI précise que pour l’application du 1° du 1 de l’article 109 du CGI, les bénéfices s’entendent de ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés. / (…) II. Applications / 18 La présomption de distribution résultant des dispositions combinées du 1° du 1 de l’article 109 du CGI et de l’article 110 du CGI s’applique seulement aux bénéfices qui ont effectivement donné lieu à l’établissement d’une cotisation d’impôt sur les sociétés. Mais, ces dispositions ne font pas obstacle, dans le cas où les rehaussements en cause n’ont pas dégagé un solde bénéficiaire imposable à l’impôt sur les sociétés à ce que les sommes ainsi réintégrées soient regardées comme distribuées au sens du 2° du 1 de l’article 109 du CGI susvisé s’il est établi qu’elles ont été mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts ou appréhendées par eux (RM C…, JO, déb. AN du 6 août 1960) / L’utilisation concurrente de ces deux procédés d’imposition conduit dans la pratique aux trois cas suivants : / (…) 21 3. Le rehaussement aboutit simplement à résorber une partie du déficit initialement déclaré, sans faire apparaître le moindre solde fiscalement bénéficiaire. / Dans ce cas, les sommes ainsi réintégrées (mais non imposées à l’impôt sur les sociétés) ne peuvent être considérées comme distribuées que par application du 2° du 1 de l’article 109 du CGI, c’est-à-dire à la condition que le service établisse qu’elles ont été effectivement appréhendées par les associés. (…) ».

L’histoire

La société Compagnie Gervais Danone (CGD) exploite les marques, brevets et savoir-faire de la division « produits laitiers frais » du groupe Danone et constitue la tête de pont de la division « Lait ». CGD est par ailleurs actionnaire minoritaire (22,58 % du capital) de la société de droit turque Danone Tikvesli (DT), spécialisée dans les produits laitiers frais. Le reste du capital de DT est détenu par une autre société de la division « eau » du groupe du Danone.

A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration a considéré qu’une subvention consentie en 2011 par la CGD à la société DT afin de restaurer sa situation nette négative était constitutive d’un acte anormal de gestion et d’un transfert de bénéfice au sens de l’article 57 du CGI.

À l’issue de l’interlocution, l’Administration a finalement admis la déduction de la subvention à hauteur du taux de détention de la société CGD dans la société turque. En revanche, elle a maintenu le refus de déduction pour le solde de la subvention. En complément, l’Administration a réhaussé la société CGD à hauteur de la RAS générée par les bénéfices réputés distribués en application des dispositions du 1° du 1 de l’article 109 du CGI.

Le TA de Montreuil a accueilli favorablement la demande de dégrèvement du groupe au regard de la RAS et a jugé, sur le terrain de la doctrine administrative et en application de l’article L 80 A du LPF, que la RAS réclamée par l’Administration sur le fondement de l’article 109, 1-1° du CGI n’était pas exigible alors même que le résultat de la société déficitaire après redressement eût été bénéficiaire si l’on tenait compte des dividendes déductibles du bénéfice net en application du régime des sociétés mères  dans la mesure où (i) la société n’avait été soumise à aucune cotisation d’IS au titre de l’exercice en litige et que (ii) la société étrangère bénéficiaire de l’abandon de créance n’était pas actionnaire de la société CGD.

Le Ministre de l’économie, des finances et de la relance a, par suite, relevé appel du jugement.

La décision

Sur le terrain de la doctrine administrative

La Cour juge que contrairement à ce qu’a jugé le TA, la partie de l’’instruction administrative en cause, qui ne peut être isolée de ses autres éléments indissociables, ne comporte pas une interprétation formelle de la loi fiscale dont la société requérante serait fondée à se prévaloir sur le fondement de l’article L. 80 A du LPF.

Dès lors, elle considère que la société requérante ne pouvait soutenir sur ce fondement que, son résultat fiscal restant déficitaire après rectification, les bénéfices réintégrés non imposés à l’IS ne pouvaient être présumés distribués par application du 1° du 1 de l’article 109 du CGI.

Elle estime ainsi le Ministre de l’action et des comptes publics fondé à soutenir que c’est à tort que le TA de Montreuil a prononcé la décharge de l’imposition contestée au motif que l’Administration avait méconnu sa propre doctrine.

Sur le terrain de la loi fiscale

Après analyse des moyens avancés par la société requérante, la Cour relève et juge que :

  • Pour justifier de son intérêt commercial à prendre à sa charge la totalité de la subvention destinée à compenser la situation nette de la société turque (et non à hauteur de sa seule participation dans la société), CDG fait valoir qu’elle devait impérativement rester présente sur le marché turc des produits laitiers, marché d’importance stratégique à fort potentiel de développement, afin de préserver le renom international de la marque, et qu’elle escomptait de sa filiale des redevances dans un contexte de forte croissance.

Toutefois l’actionnaire majoritaire avait tout autant un intérêt financier à la préservation du renom de la marque, de sorte que ce motif n’est pas propre à justifier que la charge du refinancement ait dû être exclusivement supportée par la CDG.

Par ailleurs, la société requérante se prévaut de l’importance stratégique du marché turc des produits laitiers, eu égard aux habitudes alimentaires turques, à sa croissance démographique, au taux de croissance du PIB du pays et à ses exportations vers le Moyen-Orient.

Cependant, les extraits de deux articles de presse de 2011 et 2015 et le tableau chiffré non daté qu’elle produit pour en justifier ne permettent pas de tenir pour établies les perspectives de croissance alléguées. A cela s’ajoute le fait que ces considérations d’ordre général sont contredites par l’absence de perception de redevances de la société turque depuis son acquisition 13 ans auparavant.

Dans ces conditions, la Cour juge que l’Administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que les contreparties attendues n’étaient pas de nature à justifier l’intérêt commercial de CDG à consentir cette aide, par conséquent, elle retient que cette subvention constituait, pour la fraction restante non admise en déduction, un acte anormal de gestion constitutif d’un transfert de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI.

  • Sur le calcul du bénéfice à retenir après redressement, la Cour fait une application littérale de l’article 110 du CGI en considérant que les produits de participations exonérés d’impôt sur le revenu en vertu du I de l’article 216 du CGI doivent s’ajouter au résultat retenu pour l’assiette de l’IS.

La Cour décide dès lors que le résultat retraité à prendre en compte pour l’application de l’article 109-1-1° du CGI présente un solde bénéficiaire supérieur au montant des bénéfices réputés distribués en litige.

  • Enfin, la Cour décide que la société requérante ne saurait soutenir que la RAS à laquelle elle a été soumise sur le bénéfice réputé distribué à sa filiale déficitaire résidente d’un État tiers présente un caractère discriminatoire au regard du droit au respect des biens pour se prévaloir de la décision de la CJUE C-575/17 Sofina SA du 22 novembre 2018.

Sur le terrain de la convention fiscale bilatérale franco-turque

La Cour juge qu’une société résidente de France soumise à l’IS sur son résultat fiscal global n’est pas placée dans la même situation qu’une société turque soumise à RAS sur les dividendes de source française perçus – et prévue par les stipulations de l’article 10 de la convention bilatérale franco-turque.

Dès lors, elle rejette l’argument de la société requérante selon lequel la RAS acquittée au titre du bénéfice réputé distribué à la filiale turque déficitaire constitue une discrimination incompatible avec les stipulations de l’article 24 de la convention fiscale franco-turque.

Elle annule donc le jugement rendu en 1re instance par le TA de Montreuil en tous ses points.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]