Qualification d’une augmentation de fonds propres d’une filiale étrangère

La qualification par le droit comptable étranger ne suffit pas à établir sa nature réelle pour l’application du traitement fiscal français chez la société mère française.

Depuis une décision dans laquelle le Conseil d’Etat a apprécié la normalité d’un acte de gestion en fonction de la législation étrangère applicable (CE, 7 sept. 2009, n° 303560, SNC Immobilière GSE : Dr. fisc. 2009, n° 48, comm. 561, note P. Fumenier et C. Maignan), lorsqu’elle contrôle des opérations réalisées avec des sociétés étrangères, l’Administration tente souvent de justifier le bien-fondé de certains redressements par le traitement fiscal ou comptable appliqué dans l’Etat de résidence de ces dernières.

Cette approche a tout particulièrement été rencontrée dans les cas où un abandon de créances consenti par une société mère française à sa filiale étrangère a été comptabilisé par celle-ci en fonds propres, l’Administration tentant ainsi de qualifier l’opération de supplément d’apport pour en rejeter toute déduction des bases imposables en France.

En droit interne, une augmentation de capital social doit se traduire soit par une émission d’actions nouvelles, soit par une majoration du montant nominal de la valeur des titres pour être qualifiée comme telle (C. com., art. L.225-127). Cependant, certains droits étrangers permettent qu’une augmentation de capital soit réalisée sans émission d’actions nouvelles ou sans augmentation du nominal. Aussi, lorsqu’il s’agit de qualifier, pour les besoins du droit fiscal français, le versement effectué par la société mère française au profit de sa filiale étrangère, survient alors une difficulté.

Il est de jurisprudence que dans ces situations le juge procède, en principe, selon la voie de l’assimilation (par exemple s’agissant des sociétés étrangères). Il n’applique pas la loi fiscale étrangère mais se prononce sur les modalités de taxation en France d’une opération au vu de la loi nationale. Le juge s’est ainsi fondé sur une analyse des règles juridiques régissant une dissolution sans liquidation au sens du droit canadien pour conclure que la transmission des biens réalisée lors d’une telle opération constituait une cession génératrice de plus-value au sens de la loi fiscale française (CE, 27 mai 2002, n° 125959, Dr. fisc. 2002, n° 40, comm. 750).

Dans l’affaire SNC Immobilière GSE, il faut retenir qu’en amont de l’appréciation du caractère normal de l’opération, le juge, par une analyse des contreparties et de l’instrument juridique utilisé, a écarté la qualification d’avances que l’Administration revendiquait pour justifier son action. Malgré l’absence d’émission de titres, les versements effectués ne pouvaient pas être qualifiés d’avances accordées par la société mère à sa filiale. Au surplus, censurant l’approche de principe retenue par l’Administration, le Conseil d’Etat avait jugé que l’interdiction faite à la filiale par la législation portugaise d’acquitter des intérêts à raison des versements supplémentaires effectués par sa société mère française devait être prise en compte pour apprécier la normalité de la renonciation et écarter en l’espèce l’acte anormal de gestion.

Pourtant, les services vérificateurs semblent par la suite avoir invoqué cette jurisprudence pour prétendre remettre en cause en France la nature fiscale d’opérations d’abandons de créances sur la base de leur seul traitement à l’étranger.

Tel était le cas pour une société française qui avait consenti à sa filiale britannique un abandon des créances inscrites en compte courant d‘associés pour un montant correspondant à la perte d’exploitation de celle-ci au titre de l’exercice précédent. La société britannique avait traité la somme reçue comme un apport en capital placé dans un compte de réserves distribuables sous certaines conditions. La société mère française avait alors comptabilisé une charge exceptionnelle. Pour le service vérificateur qui avait préalablement eu recours à une demande d’assistance administrative auprès du fisc britannique, en application du droit comptable anglais, cette aide constituait un supplément d’apports qui ne pouvait pas être déduit des résultats imposables de la société française. Selon les règles britanniques, l’apport de fonds est traité différemment en fonction de l’intention de celui qui accorde l’aide. Si l’aide avait été accordée à un titre autre que celui d’actionnaire (par exemple pour préserver une relation commerciale), l’apport aurait été traité comme un produit imposable de l’exercice.

S’en tenant à la qualification comptable anglaise de l’opération, la CAA de Versailles a validé cette analyse. Le Conseil d’Etat la censure pour erreur de droit. La qualification par le droit comptable étranger ne suffit pas à établir sa nature réelle pour l’application du traitement fiscal français chez la société mère française.

L’affaire est ainsi renvoyée à la Cour afin qu’elle détermine la nature réelle de l’opération pour l’application du droit fiscal français et ce, sans se fonder exclusivement sur le traitement appliqué par la filiale anglaise au regard des règles comptables britanniques (CE, 31 mars 2017, n° 383129, Senoble Holding, Dr. fisc. 2017, n°23, comm. 338, note P. Fumenier). A cet égard, l’absence de relations commerciales entre la mère et sa filiale, ainsi que l’absence de situation nette négative de la filiale avant le versement, seront au nombre des éléments examinés pour rechercher si l’apport a eu pour contrepartie la valorisation de sa participation à due proportion par la société mère.

LA QUALIFICATION PAR LE DROIT COMPTABLE ÉTRANGER NE SUFFIT PAS À ÉTABLIR SA NATURE RÉELLE POUR L’APPLICATION DU TRAITEMENT FISCAL FRANÇAIS CHEZ LA SOCIÉTÉ MÈRE FRANÇAISE.

Il faut garder à l’esprit que même avant l’exclusion du droit à déduction introduite par la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 au 13 de l’article 39 du CGI, les aides à caractère financier ne pouvaient pas être déduites lorsqu’elles avaient pour effet d’accroître la valeur des titres de participation détenus par la société mère. Ainsi, l’aide apportée par la société mère ne constituait pour cette dernière une perte déductible qu’à concurrence :

  • en tout état de cause, du montant de la situation nette négative de la filiale,
  • et du montant de la situation nette positive après abandon de créance, dans le rapport de la part de capital de la filiale détenue par les autres associés.

Au cas particulier, au vu des éléments de procédure connus, la situation nette de la filiale ne semblant pas avoir été négative avant l’abandon par la société mère de ses créances, la déductibilité des sommes ainsi engagées paraît peu probable.