Les provisions injustifiées n’ont plus droit à l’oubli

Le droit à l’oubli, concernant les erreurs ou omissions commises plus de 7 ans avant le premier exercice non prescrit, ne s’applique pas aux provisions injustifiées dès leur origine.

Par un arrêt de principe du 11 mai 2015, le Conseil d’Etat est venu préciser la portée du droit à l’oubli fixé par l’article 38, 4 bis, alinéa 2 du CGI (CE, 11 mai 2015, n°370533, 9e et 10e s.-s., SCP A Promotion).

La bonne compréhension de cet arrêt nécessite de rappeler les règles relatives au principe d’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit.

Dans le cadre d’une vérification de comptabilité, l’administration, lorsqu’elle entend corriger des erreurs commises par le contribuable au titre d’un exercice, peut corriger le bilan de clôture dudit exercice. La différence apparaissant entre le bilan d’ouverture et le bilan de clôture permet alors de constater une augmentation de l’actif net justifiant le redressement dans son principe et dans son montant.

Lorsque cette erreur était également présente au bilan d’ouverture de l’exercice, pour éviter qu’un bénéfice fictif ne soit dégagé, l’administration est tenue de procéder à la correction symétrique de ce bilan d’ouverture. Elle se doit de procéder ainsi jusqu’à l’exercice de naissance de l’erreur. La variation d’actif net ne sera donc constatée qu’au titre de l’exercice au cours duquel elle a pris naissance.

Toutefois, l’application sans limitation du principe de la correction symétrique des bilans pourrait priver l’administration de la possibilité de constater une variation d’actif net, et donc de procéder à des rehaussements. Tel est le cas lorsque l’erreur a été commise au cours d’un exercice prescrit. Pour limiter ce risque, le législateur, après différents revirements de jurisprudence1, a prévu que le bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit ne peut être modifié par l’administration fiscale. En fixant une date butoir à la correction symétrique des bilans, le législateur permet à l’administration fiscale de constater la variation d’actif net au titre du premier exercice non prescrit bien que l’erreur puisse remonter à des exercices prescrits.

Des exceptions au principe d’intangibilité existent, il s’agit notamment du droit à l’oubli, prévu à l’article 38, 4 bis alinéa 2 du CGI, qui veut que l’intangibilité ne trouve pas à s’appliquer lorsque l’erreur a été commise plus de 7 ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit (donc en pratique plus de 10 ans avant la procédure de rectification en retenant un délai de reprise classique de 3 ans). Dans cette situation, l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit ne s’applique pas et la variation d’actif net est alors constatée au titre d’un exercice prescrit ce qui interdit à l’administration fiscale de procéder à tout redressement.

En synthèse deux situations doivent être distinguées :

  • L’erreur a été commise moins de 7 ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit : la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture trouve à s’appliquer, la variation d’actif net est alors constatée au titre de ce premier exercice non prescrit ce qui permet à l’administration fiscale de procéder au rappel d’impôt sur les sociétés correspondant ;
  • L’erreur a été commise plus de 7 ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit : la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture ne s’applique pas. Ainsi, le bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit est également modifié ce qui reporte la constatation de la variation d’actif net sur un exercice prescrit et interdit à l’administration de procéder au rehaussement.

Toutefois, le législateur, lors des travaux préparatoires, avait entendu exclure de ce droit à l’oubli les erreurs de même type reproduites à l’identique d’exercice en exercice. En d’autres termes, seules les erreurs uniques commises plus de 7 ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit peuvent être couvertes par cette exception.

En l’espèce, le litige porte sur une provision déduite fiscalement par la société qui était destinée à faire face à un risque de non recouvrement d’une créance. Or, cette provision avait été irrégulièrement constituée dès l’origine en raison de l’absence de risque d’irrécouvrabilité de la créance en cause.

Malgré son caractère injustifié, la provision a été maintenue dans les bilans successifs jusqu’à la période vérifiée.

Toute la question était alors de savoir si l’inscription de cette provision au bilan de plusieurs exercices successifs pour le même montant constituait une erreur unique (bénéficiant de l’exception à la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture prévue par l’article 38, 4 Bis 2e alinéa du CGI ) ou constituait la répétition d’une erreur de même type reproduite à l’identique d’exercice en exercice (ne bénéficiant pas de cette exception).

La réponse à cette question trouve son fondement dans l’obligation comptable qui pèse sur les entreprises édictée par le plan comptable général en son article 324-1, à savoir le réexamen des provisions comptabilisées à la clôture de chaque exercice, et dans la rédaction même de l’article 39-1 5° du CGI qui précise que les provisions sont déductibles fiscalement au titre d’un exercice si « (…) des évènements en cours –les– rendent probables. »

En d’autre terme, les sociétés ont l’obligation comptable et fiscale de réexaminer à la clôture de chaque exercice les provisions inscrites à leurs bilans.

Ainsi, comme le conclu Mme E. Bokdam-Tognetti, rapporteur public dans cette affaire, l’erreur de comptabilisation d’une provision injustifiée dès l’origine ne saurait être regardée comme ayant été commise une seule fois, mais devrait être regardée comme commise à nouveau à chaque bilan dans lequel la provision est maintenue, même en l’absence de modification de son quantum.

Dans ces conditions, l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit s’applique et le rehaussement du résultat imposable aura donc lieu au titre de cet exercice.

Nous noterons que l’administration fiscale a adopté une position différente dans sa doctrine. Elle admet l’application du droit à l’oubli aux provisions non déductibles totalement ou partiellement en application du 5° du 1 de l’article 39 du CGI (BOI-ANNX-000114-20141013). Cette doctrine administrative pourra être opposée à l’administration fiscale tant qu’elle ne sera pas rapportée.

Nous savons que dans le cadre des vérifications de comptabilité, l’administration fiscale porte une attention particulière sur la régularité de la constitution des provisions. Les entreprises se doivent donc d’être particulièrement attentives au traitement de leur provision, même anciennes.