Proposition de directive visant à mettre en place une obligation de déclaration des dispositifs transfrontières à la charge des intermédiaires fiscaux

Le 21 juin 2017, la Commission européenne a rendu publique sa proposition de modification de la directive relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal (directive 2011/16/UE) aux fins de contraindre les intermédiaires fiscaux (conseils fiscaux, comptables, banquiers, avocats, etc.) à déclarer certains schémas d’optimisation fiscale qu’ils conçoivent ou vendent pour leurs clients. Le 13 mars dernier, les ministres des finances de l’UE sont parvenus à un accord définitif lors de la session du Conseil « Affaires économiques et financières ». Le Conseil adoptera la directive sans autre débat, une fois que le texte aura été mis au point dans toutes les langues officielles. Elle devra être transposée par les Etats membres avant le 31 décembre 2019.

Les dispositifs de planification fiscale (DPF) à caractère potentiellement agressif ayant une dimension transfrontalière au sein de l’UE feront ainsi l’objet de déclarations par les « intermédiaires fiscaux » auprès de leurs administrations fiscales nationales, à charge pour celles-ci d’échanger ensuite de manière automatique avec leurs homologues européens les informations ainsi collectées via une base de données centralisée.

Eléments de cadrage

A la suite notamment de l’affaire des « Panama Papers » et en cohérence avec sa priorité politique de transparence fiscale, la Commission européenne a pris le parti de proposer l’institution d’un régime de communication obligatoire sur les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif, qui fait écho à l’action 12 du plan BEPS. La Commission s’est pour ce faire ouvertement inspirée de dispositifs existant d’ores et déjà en Europe (au Royaume-Uni – DOTAS – en Irlande et au Portugal).

Base juridique

Article 115 du TFUE : règles contraignantes en matière de fiscalité directe devant nécessairement être adoptées à l’unanimité dans le cadre d’une directive Modification de la directive 2011/16/UE du 15 février 2011 sur la coopération administrative (5e modification en 4 ans).

L’objectif : une amélioration des conditions du marché intérieur par l’adjonction d’un thème supplémentaire au volet transparence fiscale européen

Pour les administrations fiscales de l’UE :

  • Effet dissuasif sur les intermédiaires fiscaux, prévention de l’utilisation des schémas les plus agressifs
  • Accroître leur réactivité (faculté de faire obstacle plus rapidement aux montages par le biais de modifications législatives ou règlementaires)
  • Données récoltées susceptibles de servir à une analyse de risque, ainsi qu’à des fins d’audits

Pour les opérateurs :

  • Assurance de conditions de concurrence équitable sur le marché intérieur
  • Lutter contre les distorsions du fonctionnement du marché intérieur

Un spectre très vaste

Des règles qui se veulent exhaustives : tous les intermédiaires, tous les dispositifs potentiellement dommageables et tous les Etats membres

Des marqueurs identiques pour tous les Etats membres (one fits all, contrairement à l’action 12 de BEPS) et multiples

Seule exception : les opérations faisant intervenir exclusivement des Etats tiers à l’Union européenne

Une (nouvelle) extension du champ d’application de l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales de l’UE

  • Après, notamment, la mise en place d’un échange automatique d’informations sur les rulings fiscaux ou encore d’un CbCR entre administrations fiscales et alors qu’un projet (controversé) de CbCR public est en cours de discussion/adoption
  • Selon le diptyque traditionnel « communication à l’administration fiscale nationale » puis « échange automatique et obligatoire entre administrations fiscales des autres Etats membres » via une base de données centralisée

Des sanctions laissées à l’appréciation de chaque Etat membre

Pas d’harmonisation au niveau européen

Seule contrainte : instaurer des amendes ou sanctions administratives efficaces, dissuasives et proportionnées

Entrée en application au 1er juillet 2020

Transposition au 31 décembre 2019 au plus tard

Premiers échanges automatiques entre administrations fiscales le 31 octobre 2020 au plus tard

Une définition des DPF transfrontières soumis à déclaration en 3 volets

Les dispositifs transfrontaliers comportant au moins l’un des « marqueurs » (hallmarks) qui indique un risque potentiel d’évasion fiscale devraient désormais automatiquement être déclarés, préalablement à leur mise en œuvre.

Un dispositif transfrontière faisant intervenir au moins un Etat membre

Le rattachement territorial à un Etat membre résulte soit des parties (résidences fiscales différentes, double résidence fiscale dans plusieurs juridictions simultanément, exercice par le contribuable de son activité dans l’autre juridiction par l’intermédiaire d’un établissement stable, situé ou non dans cette juridiction) soit du dispositif fiscal lui-même (incidence fiscale dans au moins deux juridictions).

Qui satisfait à au moins un des marqueurs listés par la directive

Les « marqueurs », listés à l’annexe IV de la directive, peuvent être définis comme une compilation des caractéristiques et éléments des opérations qui constituent une indication de pratiques abusives. Ces « marqueurs » pourront être mis à jour ou complétés par la Commission européenne, le cas échéant, en fonction des éléments recueillis dans le cadre de l’obligation nouvelle.

Une distinction est établie entre les marqueurs généraux qui ne peuvent être pris en compte que si l’avantage principal du recours au dispositif en cause est l’obtention d’un avantage fiscal (critère dit de l’avantage fiscal) et les marqueurs spécifiques qui peuvent être liés (1) au critère de l’avantage principal, (2) aux opérations transfrontières ou (3) qui concernent les accords d’échange automatique d’informations au sein de l’Union européenne. Il suffit qu’un dispositif relève du champ d’un seul de ces marqueurs pour qu’il soit considéré comme devant faire l’objet d’une déclaration.

Toutefois, les marqueurs généraux et les marqueurs spécifiques liés au critère de l’avantage principal (ainsi que certains marqueurs liés à des opérations transfrontières) ne peuvent être pris en compte que lorsqu’ils remplissent le critère de l’avantage principal. Ce dernier sera rempli lorsque l’avantage principal qu’une personne peut raisonnablement attendre d’un dispositif (ou d’une série de dispositifs) est l’obtention d’un avantage fiscal.
 

Les principaux marqueurs sont les suivants :

  • L’utilisation des pertes afin de réduire la charge fiscale (y compris par leur transfert à une autre juridiction ou l’accélération de leur utilisation)
  • L’utilisation de régimes fiscaux permettant de convertir un revenu en une autre catégorie de revenus moins taxés ou non taxés
  • La mise en place de certains schémas via des Etats qui ne satisfont pas aux normes internationales de bonne gouvernance ou de transparence fiscale (échange automatique d’information et les bénéficiaires effectifs)
  • Le transfert d’actifs incorporels difficiles à évaluer
  • Le transfert transfrontière de fonctions et/ou de risques au sein du groupe si le résultat annuel d’exploitation prévu dans les 3 ans suivant le transfert du ou des cédants est inférieur à 50 % du résultat annuel d’exploitation prévu dudit cédant en l’absence de transfert

 
Sont cités également les dispositifs qui :

  • Comportent un paiement transfrontière en faveur d’un bénéficiaire résidant dans un pays à fiscalité nulle ou très faible
  • Sont créés pour éviter de devoir déclarer des revenus en application des règles de transparence de l’Union européenne
  • Etablissent un lien direct entre les honoraires facturés par l’intermédiaire et les économies réalisées par le contribuable
  • Font en sorte que les mêmes actifs bénéficient des règles d’amortissement dans plusieurs pays
  • Permettent aux mêmes revenus de bénéficier d’une réduction d’impôt dans plusieurs juridictions

Conçus, vendus ou mis à disposition par « un intermédiaire »

La notion d’intermédiaire retenue est extrêmement vaste, puisqu’elle recouvre toute personne :

  • Qui assure la conception, la commercialisation, l’organisation ou la gestion de la mise en œuvre des aspects fiscaux d’un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, ou d’une série de tels dispositifs, dans le cadre d’une prestation de services dans le domaine fiscal, ou met à disposition un tel dispositif en vue de sa mise en oeuvre
  • qui, compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l’expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu’elle s’est engagée à fournir
  • directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l’organisation d’un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en oeuvre
  • En pratique, sont notamment susceptibles d’être concernés les conseillers fiscaux, les comptables, les banques et les avocats

Les intermédiaires concernés sont nécessairement rattachés à l’Union européenne par l’une des conditions suivantes :

  • Constitution dans un Etat membre
  • Résidence dans un Etat membre à des fins fiscales
  • Enregistrement auprès d’une institution professionnelle en rapport avec des services juridiques, fiscaux ou de conseil dans au moins un Etat membre
  • Situation ou exercice de leur profession sur le territoire d’au moins un Etat membre

Par exception, bénéficient d’une dispense de déclaration les intermédiaires :

  • Qui sont couverts par le secret professionnel en vertu de la législation nationale d’un Etat membre
  • Sans présence dans l’Union européenne
  • Ou lorsque le contribuable lui-même a conçu ou mis en place un dispositif en interne

Dans ces hypothèses, l’obligation de déclaration est reportée sur la tête du contribuable.

Enfin, en cas de pluralité d’intermédiaires (présence dans plusieurs Etats membres, recours à d’autres acteurs indépendants locaux pour la fourniture de conseils fiscaux concernant certains dispositifs), tous sont soumis à l’obligation de déclaration (une dispense existe cependant à l’intermédiaire en mesure de prouver, conformément au droit national, que ces mêmes informations ont déjà été transmises par un autre intermédiaire).

Une procédure en deux temps

Communication des informations recueillies par l’intermédiaire auprès de son Etat membre

  • Délai de déclaration : dans les 30 jours à compter du jour suivant la mise à disposition d’un contribuable d’un des dispositifs visés, aux fins de sa mise en œuvre
  • Informations à fournir : notamment résumé du dispositif, informations détaillées sur les dispositions fiscales nationales dont l’application crée un avantage fiscal, valeur de l’opération, identification de toute personne susceptible d’être concernée par le dispositif transfrontière devant faire l’objet de la déclaration, etc.
  • Dérogation : si l’intermédiaire est soumis au secret professionnel ou s’il est situé dans un Etat tiers ou encore que le schéma a été développé en interne, report de l’obligation de déclaration sur la tête du contribuable concerné
  • Sanctions : laissées à l’appréciation des Etats membres sur une base unilatérale (pourvu qu’elles soient efficaces, dissuasives et proportionnées)

Echange automatique entre administrations fiscales des Etats membres

  • Echange des informations ainsi recueillies trimestriellement
  • Via une base de données centralisée
  • Selon un format de déclaration standard
  • Accès restreint de la Commission européenne aux informations, correspondant à son niveau d’habilitation pour les décisions fiscales anticipées en matière transfrontière