Le processus législatif de l’Union européenne en matière fiscale : une grande opacité

L’Union européenne, notamment à travers ses institutions, ne brille pas par sa simplicité et sa transparence. L’Europe et en particulier son fonctionnement est compliqué à comprendre, certainement pour le commun des mortels mais aussi pour les experts.

Souvent, les opérateurs économiques se trouvent confrontés à des décisions européennes sans vraiment en comprendre le contenu alors qu’ils sont appelés à les appliquer.

Le point de départ du processus législatif communautaire en matière fiscale – toute initiative législative de nature fiscale – commence par l’adoption par la Commission, plus précisément le Collège représenté par les commissaires1, d’une proposition de directive ou de règlement. Rappelons que l’un des plus importants pouvoirs de la Commission est le droit d’initiative, ce qui signifie que la Commission a le monopole de toute initiative législative au niveau européen. Comme corollaire, la Commission a le pouvoir de retirer sa propre initiative législative lorsqu’elle juge que celle-ci a été dénaturée par les Etats membres notamment lors de négociations. De ce fait, elle peut empêcher le Conseil d’adopter un acte législatif qu’elle estime contraire aux intérêts communautaires. Nous verrons que le Parlement européen qui devrait être l’expression du pouvoir législatif n’a même pas la capacité de proposer des initiatives législatives !

La Commission européenne essaie de plus en plus d’impliquer en amont le monde économique dans le processus législatif

Avant d’adopter une initiative législative, en général, c’est très souvent le cas en matière fiscale, la Commission européenne informe auparavant les milieux intéressés de son intention d’intervenir dans un domaine particulier. Elle le fait en présentant des Communications ou des Livres Blancs2 dans lesquels elle expose les initiatives qu’elle entend prendre. Durant les dernières années, la Commission a fait un effort de transparence, notamment en adoptant certaines pratiques telles que l’organisation de consultations publiques et la présentation d’études d’impact afin de justifier les choix effectués, même si des interrogations subsistent sur l’objectivité du traitement des résultats. Il demeure que la Commission européenne essaie de plus en plus d’impliquer en amont le monde économique dans le processus législatif.

Une fois adoptée par le Collège, l’initiative législative est transmise aux autres institutions à savoir le Parlement européen, le Comité économique et social et le Conseil de l’Union européenne.

La procédure législative ordinaire confère le même poids au Conseil et au Parlement européen. Le Conseil vote à la majorité qualifiée et le Parlement participe au processus législatif en tant que co-législateur.

En matière fiscale, cette procédure ne s’applique pas, une procédure législative spéciale est prévue. Dans le cadre de cette procédure, le Conseil de l’Union européenne légifère seul, le Conseil économique et social et le Parlement européen ont un rôle secondaire émettant uniquement des avis.

De facto, le rôle du Conseil économique et social est très limité en raison de son manque de pouvoir dans la procédure législative ordinaire et d’un manque évident de lustre, même si formellement, son avis – non contraignant juridiquement – est nécessaire pour l’adoption d’une directive.

Le Parlement européen qui est, rappelons-le, la seule institution élue démocratiquement dans le cadre des institutions communautaires n’a curieusement pas de pouvoir en matière fiscale. A l’instar du Comité économique et social, il émet simplement des avis non contraignants. Comme ceux du Comité économique et social, ses avis peuvent être ou ne pas être suivis. En général, les amendements proposés ne le sont pas, souvent le Parlement reçoit un remerciement poli de la Commission européenne et une vague promesse que lors des négociations au Conseil il en sera tenu compte. Il n’est pas rare que l’avis du Parlement soit adopté alors qu’un accord ait déjà été trouvé au niveau du Conseil, on parle alors d’accord politique car pour être formalisé l’avis formel du Parlement est indispensable. Si la Commission devait accepter les amendements proposés par le Parlement, elle devrait présenter formellement un acte législatif modifié, ce qui allongerait encore plus les délais. C’est la raison pour laquelle on constate que les avis demeurent souvent lettre morte.

Comme dans toute procédure législative nationale, les projets de lois sont auparavant examinés dans des commissions parlementaires spécialisées. S’agissant des affaires fiscales, au niveau communautaire, c’est la Commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen qui est compétente pour examiner les propositions législatives présentées par la Commission. Ses travaux sont en principe publics avec la présence des représentants des services de la Commission qui sont appelés à défendre au plan technique les propositions et à répondre éventuellement aux questions des parlementaires. Il est très rare que des représentants du Conseil participent à ces réunions. Cela montre clairement le manque d’attention qu’ils vouent au Parlement. D’autres commissions parlementaires peuvent être aussi appelées à donner leurs avis, ceux-ci seront pris en compte par la Commission parlementaire responsable. Les avis sont enfin adoptés en session plénière et transmis au Conseil de l’Union européenne.

On s’aperçoit ces dernières années de la volonté manifeste du Parlement européen, à travers notamment l’instauration de commissions d’enquête en matière de fraude et d’évasion fiscales, de peser davantage en matière fiscale en mettant en particulier la pression sur la Commission européenne pour que cette dernière présente des initiatives législatives substantielles. On a pu vérifier que la Commission a généralement suivi les recommandations du Parlement même si elle n’est pas allée aussi loin que ne le souhaitait le Parlement. Celui-ci a beaucoup moins d’influence sur les Etats membres, ceux-ci souhaitant exercer pleinement leur pouvoir législatif. En tout état de cause, compte tenu de son droit d’initiative, la Commission joue un rôle central dans le processus législatif. Par ailleurs, n’oublions pas que le Parlement exerce un contrôle politique sur la Commission européenne, ainsi une motion de censure peut obliger la Commission à démissionner3. En outre, la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale, même si elle répond à des préoccupations justifiées, constitue un levier porteur politiquement.4

L’Ecofin détient le véritable pouvoir législatif en matière fiscale.

La dernière institution européenne intervenant dans le processus législatif est le Conseil de l’Union européenne – à ne pas confondre avec le Conseil européen dont les membres sont les chefs d’Etat – en l’occurrence l’Ecofin, le Conseil des ministres de l’économie et des finances. Celui-ci détient le véritable pouvoir législatif en matière fiscale.

Pratiquement, ce sont les représentants des ministres, en fait les fonctionnaires des administrations fiscales qui négocient dans le cadre de groupes de travail spécialisés les initiatives législatives présentées par la Commission. Les travaux sont dirigés par la présidence tournante, celle-ci change chaque semestre, ce qui constitue un frein dans le suivi des propositions. Il est important de souligner que la présidence joue un rôle majeur notamment en déterminant la séquence des travaux, les priorités accordées aux dossiers, la recherche de compromis. Tous les travaux sont confidentiels, à de rares exceptions, rien ne transparaît ! Pour glaner voire mendier quelques informations sur la tournure des négociations, les opérateurs économiques doivent souvent compter sur la bonne volonté de certaines délégations ou de représentants de la Commission qui semblent plus ouverts à l’échange. Il importe de souligner que certains Etats membres ont une politique assez transparente en la matière et discutent volontiers avec les opérateurs économiques du développement des négociations en leur demandant par exemple des contributions techniques, c’est notamment le cas du Royaume-Uni mais cela demeure une exception.

Il importe de noter que les travaux du Code de conduite qui ne suivent pas la méthode communautaire sont tout aussi opaques.

Après un certain temps qui peut se révéler très long6, l’information est diffusée souvent à travers un communiqué de presse qui décrit succinctement le contenu de l’accord.

Surprise ! La première réaction des acteurs concernés est bien sûr d’examiner le contenu de la directive adoptée. Mais les choses ne sont pas aussi simples, la lecture d’une directive est un exercice exigeant. Le langage communautaire se révèle particulièrement abscons, hermétique, parsemé de sous-entendus ou de silences, souvent nécessaire pour parvenir à un accord unanime. Chacun comprendra ce qu’il a envie de comprendre ! Commence alors le difficile parcours d’analyse et de compréhension. Rappelons que les directives doivent être transposées en droit national 7. A l’occasion de la transposition des directives en droit national, il n’est pas rare de voir les Etats membres prendre quelques libertés ou tout simplement eux-mêmes n’ont-ils pas bien compris ou interprété différemment les dispositions de la directive adoptée. On comprend pourquoi la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne joue un rôle majeur dans l’application des directives en matière fiscale, la Cour ne fait que suppléer aux carences8 du législateur communautaire.

Partant de ce constat, la Commission a décidé il y a 5 ans, notamment dans le domaine de la TVA, de publier des notes explicatives, une sorte de manuel d’utilisation des directives.

Ces notes ont tout simplement pour vocation d’expliquer dans les détails les directives adoptées. Les services de la Commission ont estimé que c’était un devoir vis-à-vis des contribuables 9, en l’occurrence les assujettis à la TVA, d’expliquer dans des termes compréhensibles et avec des exemples concrets le contenu des directives adoptées.

En effet, les services de la Commission participent aux négociations au Conseil et dès lors ils sont les mieux placés pour expliquer « en toute neutralité » ce qui a été décidé. En outre l’élaboration des notes explicatives fait l’objet d’une large consultation tant des opérateurs que des administrations nationales. Plusieurs directives ont fait l’objet de notes explicatives finalement au grand contentement des opérateurs économiques mais aussi des administrations fiscales, certaines d’entre elles les ont simplement recopiées. Par ailleurs, les notes explicatives permettent aussi d’assurer une plus grande harmonisation dans l’application de la législation.10

Les services de la Commission européenne ont pris en outre diverses initiatives en vue de permettre aux acteurs économiques de mieux suivre le développement de la législation européenne en matière fiscale : l’instauration de groupes d’experts, la publication des documents et lignes directrices du Comité de la TVA.

Mais le Conseil de l’Union européenne qui est le législateur demeure peu transparent, le suivi des négociations n’est pas aisé, ce qui n’est pas acceptable. Les travaux techniques du Conseil devraient être rendus publics, il n’y a pas de raisons pertinentes pour maintenir cette forme d’opacité au niveau européen alors qu’elle n’existe pas ou dans une bien moindre mesure au niveau national.


1 La prise de décision fonctionne selon le principe de collégialité, souvent sur base de consensus, mais il n’est pas rare que certaines décisions doivent faire l’objet d’un vote, dans cas il suffit de la majorité simple des membres du Collège, c’est-à-dire 15.

2 Un Livre Blanc permet en général à la Commission de présenter ses plans d’actions, alors qu’un Livre Vert lui permet de lancer des consultations, des débats.

3 La motion nécessite, pour être adoptée, un vote à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés et à la majorité des membres composant l’Assemblée; elle contraint la Commission à démissionner en bloc.

4 La Commission peut également être invitée à présenter une proposition législative à la demande des citoyens européens, il faut recueillir 7 millions de signatures dans au moins 7 Etats membres, il s’agit d’une procédure lourde, complexe et peu transparente.

5 Il s’agit d’une coopération inter-gouvernementale, c’est-à-dire entre Etats membres, les services de la Commission jouant essentiellement le rôle de contributeurs techniques. En effet les travaux techniques d’analyses sont en général effectués par les services de la Commission.

6 La négociation de propositions de directives en matière de fiscalité peut durer plusieurs d’années, si elles aboutissent !

7 Ce qui n’est pas le cas pour les règlements qui sont directement applicables -, certaines dispositions des directives peuvent l’être aussi à certaines conditions qui ont été fixées par la Cour de Justine de l’Union européenne.

8 Les carences peuvent être de divers ordres, la non adoption de directives, la qualité médiocre en termes de rédaction juridique des directives, la terminologie utilisée…etc. A titre d’information, il faut savoir que les propositions de directive sont négociées par le groupe de travail du Conseil sur la base d’un texte anglais, les modifications apportées, les documents de travail ne sont rédigés qu’en anglais. Ce n’est que lorsqu’il y a accord sur un texte rédigé en anglais que celui-ci fait l’objet d’une traduction dans toute les langues communautaires, les Etat membres étant appelés à vérifier ces traductions.

9 Rappelons que les assujettis jouent le rôle de caissier de l’Etat, ils le font à titre gratuit et s’ils se trompent ils risquent en plus d’être sanctionnés !

10 La présentation de notes explications de la part des services de la Commission a fait l’objet d’âpres discussions avec les Etats membres, ceux-ci s’opposante de manière générale à cette initiative, craignant que les notes explicatives deviennent en fin de compte des quasi actes législatifs. Il convient cependant de rappeler que formellement ces notes n’ont aucune valeur juridique, il s’agit d’un avis exprimé par les services de la Commission.