Pénalisation du droit fiscal et transparence : les prix de transfert dans le viseur

Il y a un an, le projet de loi de lutte contre la fraude était définitivement adopté. Parmi ses mesures phares, on trouve notamment la fin du « verrou de Bercy », dont la conformité à la Constitution vient d’être validée par le Conseil constitutionnel (Décision n°2019-804 QPC du 27 septembre 2019) .

Ce dispositif quasi-centenaire, qui conférait jusqu’alors à l’Administration le monopole des poursuites dans des dossiers de fraude fiscale, devenait peu compatible avec l’exigence de transparence émanant à la fois de l’opinion publique et d’une partie de la classe politique.

Des procédures et des sanctions renforcées

La loi prévoit désormais des seuils permettant une transmission automatique des dossiers au parquet, qui conserve le pouvoir de l’opportunité des poursuites. En particulier, cette transmission interviendra dès lors que les droits prétendument éludés dépassent un seuil de 100 000 euros et si l’application de certaines pénalités a été prononcée : majoration de 100 % (évaluation d’office pour opposition à contrôle fiscal), majoration de 80 % (découverte d’une activité occulte, abus de droit, manœuvres frauduleuses, dissimulation de prix ou d’activité illicite, non-déclaration des avoirs à l’étranger), majoration de 40 % en l’absence de dépôt de déclaration ou d’acte dans les 30 jours d’une mise en demeure, ou en cas de manquement délibéré ou abus de droit dès lors qu’au cours des six dernières années, le contribuable a fait l’objet, lors d’un précédent contrôle, de l’une des majorations de 100 %, 80 % ou 40 %.

Une circulaire relative à la réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale précise que « L’application des majorations s’apprécie au stade de la mise en recouvrement » sauf lorsqu’une transaction intervient avant. Dans ce cas, « l’application des majorations s’apprécie au stade des dernières conséquences financières ». La transmission au parquet s’effectuera « selon une périodicité trimestrielle ». Cette même circulaire rappelle également que le ministère public, une fois saisi d’une plainte, pourra étendre ses prérogatives à des infractions connexes « sans nécessité d’une nouvelle action de l’administration fiscale ». La mise en place de ces critères pourrait conduire à doubler le nombre d’affaires traité par le ministère public. Par ailleurs, les sanctions pénales ont également été revues à la hausse. Le risque financier, en particulier pour les entreprises, s’accroît donc considérablement.

En quête d’une transparence totale

Déjà connu des anglo-saxons, le dispositif du « name and shame » qui ne vise que les personnes morales, consistera par ailleurs à rendre public certains litiges. Il sera déclenché en cas de sanctions prononcées pour des manquements graves. La publication sera disponible sur le site de l’administration fiscale.

Cette loi est donc venue compléter l’arsenal des mesures de transparence et de lutte contre l’optimisation fiscale déjà existantes telles que la directive européenne du 25 mai 2018, dite « DAC 6 » . La directive qui vient d’être transposée par ordonnance prévoit notamment l’obligation de notifier en amont aux administrations fiscales les schémas fiscaux transfrontaliers dits « potentiellement agressifs » mis en place depuis le 25 juin 2018.

Par nature, le domaine des prix de transfert sera particulièrement concerné par ces mesures. En effet, la directive DAC 6 prévoit un marqueur spécifique concernant les prix de transfert qui sera d’application directe sans nécessité de prouver l’existence d’un avantage fiscal du dispositif pour déclencher l’obligation déclarative. Par ailleurs, pour la loi relative à la lutte contre la fraude, le seuil de 100 000 euros en droit devrait être souvent atteint et l’application par les services vérificateurs d’une majoration de 40 % est une tendance que l’on observe fréquemment dans cette matière. L’épée de Damoclès de la récidive en matière de pénalité de 40 % pèse donc sur les contribuables et l’insécurité fiscale et désormais pénale est donc particulièrement grande pour une matière technique constamment sujette à débat. À l’avenir, il n’est pas exclu de voir se déclencher une action pénale alors même que le débat technique, à l’origine de la poursuite, n’aura pas été tranché sur le plan économique et fiscal.