Morgan Stanley – Audience du 15 mars 2017

Le 15 mars 2017, le Rapporteur Public a rendu ses conclusions dans l’affaire Morgan Stanley, pendante devant le Conseil d’Etat.

Pour rappel, la CAA de Versailles avait conclu, le 27 janvier 2015 (N°10VE01053), que la succursale française d’une société mère britannique avait la qualité d’assujetti partiel à la TVA en raison de la réalisation, d’une part, d’opérations « externes » (opérations bancaires et financières pour lesquelles elle avait opté) et, d’autre part, d’opérations « internes » (i.e. effectuées entre un siège et une succursale) situées en dehors du champ d’application de la TVA.

Se fondant sur la jurisprudence de la CJUE et les conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires Abbey National, C-408/98 et Kretztechnik, C-465/03, le Rapporteur Public considère que les opérations internes doivent être regardées comme étant « transparentes » : le siège et sa succursale ne forment qu’un seul assujetti pour lequel seuls les flux entrants et sortants sont situés dans le champ d’application de la TVA.

En tant que telles, les opérations internes ne privent donc pas du droit à déduction de la TVA grevant les dépenses engagées pour effectuer ces opérations. En ce sens, référence a été clairement faite à l’arrêt ESET, C–393-15 qui a récemment reconnu le plein droit à déduction de la succursale au titre des opérations engagées pour le compte d’un siège établi dans un autre Etat membre. Le Rapporteur Public a préconisé la cassation de l’arrêt de la CAA de Versailles pour erreur de droit.

Cela étant réaffirmé, se pose la question des modalités de mise en œuvre du droit à déduction de la succursale française. Concernant ce second point, le Rapporteur Public insiste sur la nécessité de poser plusieurs questions préjudicielles à la CJUE.

Le Rapporteur Public soulève notamment la question de l’application éventuelle d’un prorata, sur la base de la décision Monte Dei Paschi (C-136/99), c’est-à-dire un prorata étranger recalculé à l’aune des règles françaises.

Selon nous, un tel prorata engendrerait des difficultés pratiques majeures. Le prorata étranger peut en effet résulter d’une méthode spécifique différente de la règle française qui repose, quant à elle, sur le chiffre d’affaires correspondant à chaque type d’opérations. Le prorata peut également être celui du groupe, et non pas celui de l’entité juridique à laquelle appartient la succursale française. Au demeurant, compte tenu de l’option ouverte en France pour la taxation des produits financiers, ce prorata retravaillé pourrait être déconnecté du niveau de droit à déduction à l’étranger. Enfin, ce prorata pourrait prendre en considération, de manière significative, des opérations qui n’entretiennent aucun rapport avec les dépenses engagées en France.

En ce qui concerne les dépenses mixtes (i.e. utilisées à la fois pour effectuer des opérations ouvrant à déduction et des opérations n’ouvrant pas droit à déduction), seul le prorata français (aujourd’hui coefficient de taxation forfaitaire) semble être applicable compte tenu de la rédaction des textes français. Or, il ressort de l’affaire Le Crédit Lyonnais (C-388/11) que ce prorata ne devrait prendre en considération que le chiffre d’affaires français, à l’exclusion du chiffre d’affaires rattachable au siège étranger.

Enfin, s’agissant des succursales françaises qui peuvent engager des dépenses pour rendre des services internes à plusieurs succursales étrangères, qui, pour certaines d’entre elles, peuvent appartenir à des groupes de TVA, nous sommes bien loin de la « simplicité » de l’affaire Morgan Stanley et toute solution consistant à découper des dépenses françaises pour les rattacher à une série de prorata étrangers retravaillés apparaît simplement impraticable et invérifiable.

Il est fort probable que le Conseil d’Etat suivra les recommandations de son Rapporteur Public et transmettra une ou plusieurs questions préjudicielles à la CJUE. Ceci place les opérateurs dans une grande incertitude quant à l’exercice de leurs droits à déduction.