Lois de finances : quatre mesures phares pour les groupes

Sous réserve de la décision du Conseil Constitutionnel auquel elles ont été déférées, la LF 2015 et la 2e LFR 2014 ont été définitivement adoptées. Nous avons tout particulièrement retenu les quatre mesures suivantes.

Aménagement du régime de l’intégration fiscale

La 2e loi de finances rectificative pour 2014 adapte le régime de l’intégration fiscale afin de tenir compte de la décision rendue par la CJUE le 12 juin 2014 (CJUE, 12 juin 2014, affaires C-39/13, C-40/13 et C-41/13). En effet, le régime des groupes de sociétés néerlandais avait été jugé contraire au principe de la liberté d’établissement en ce qu’il faisait obstacle à l’extension du périmètre d’intégration aux sociétés françaises sœurs détenues par une société mère établie dans l’UE.

Le régime français d’intégration fiscale, similaire au régime néerlandais, n’autorisait pas non plus la constitution d’un groupe fiscal entre sociétés sœurs détenues dans les mêmes conditions et une procédure d’infraction aurait été engagée contre la France en octobre 2014 par la Commission européenne.

L’aménagement adopté a des incidences tant sur le périmètre d’intégration que sur le fonctionnement du régime. En effet, il sera désormais possible de créer une intégration fiscale horizontale entre sociétés sœurs françaises d’une même mère établie dans un Etat membre de l’UE ou dans un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.

Cette nouvelle intégration fiscale repose sur trois acteurs dont les rôles et qualités sont définis aux 2e et 3e alinéas du I de l’article 223 A du CGI :

  • Entité mère non résidente : c’est l’entité faîtière du groupe qui va permettre à une société française qu’elle détient, directement ou indirectement, d’intégrer les résultats d’autres sociétés avec lesquelles elle n’a pas de lien de participation direct
  • Sociétés étrangères : il s’agit de sociétés situées entre l’entité mère non résidente et la société mère française ou entre l’entité mère non résidente et les autres sociétés qui seront comprises dans le périmètre d’intégration
  • Société mère française : ce sera la société intégrante du groupe horizontal

Le lien de participation qui doit exister entre les différentes sociétés dont les résultats seront intégrés en France reste fixé à au moins 95 % du capital, apprécié au niveau de l’entité mère non résidente au travers des sociétés étrangères et des autres sociétés membres du groupe.

On retiendra que l’entité mère non résidente comme les sociétés étrangères interposées doivent être établies dans un Etat de la Communauté européenne ou un Etat partie à l’accord sur l’Espace Economique Européen ayant conclu avec la France une convention fiscale comprenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale. Elles doivent également être soumises à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés. Pour autant, leurs résultats ne pourront pas être compris dans le périmètre de l’intégration fiscale.

La possibilité offerte par la loi nouvelle d’intégrer les résultats de sociétés sœurs ne consiste pas en un élargissement d’un périmètre d’intégration déjà existant mais en la constitution d’une nouvelle intégration.

Dans le cas basique de deux sociétés sœurs qui ont constitué chacune une intégration fiscale avec leurs propres filiales détenues, directement ou indirectement, à au moins 95 %, l’option pour l’intégration fiscale horizontale nouvellement admise ne se traduira pas par un élargissement des périmètres de ces deux intégrations préexistantes, mais par leur cessation à la date de clôture de l’exercice qui précède celui au titre duquel sera exercée l’option.

Par ailleurs, un certain nombre d’aménagements en matière de retraitement des résultats ont été mis en place afin de faire obstacle aux hypothèses de double imposition ou de double déduction susceptibles d’apparaître dans le cadre d’opérations impliquant l’entité mère étrangère, ainsi que les sociétés étrangères au travers desquelles les sociétés françaises sont détenues. Ainsi, les retraitements devant actuellement être opérés en matière de dividendes, provisions, abandons de créances et subventions, calcul de la plus ou moins-value nette d’ensemble, plus-values de cession intra-groupe, imputation des déficits pré-intégration d’une société du groupe, et de sous-capitalisation, dans le cadre des groupes « Papillon », pourront également être appliqués aux opérations réalisées avec une entité mère non résidence ou une société étrangère. Cela étant, seuls pourront en bénéficier les groupes étant en mesure d’apporter la preuve que les neutralisations sont nécessaires pour préserver l’unité économique sont justifiées (absence de double déduction ou situation de double taxation avérée).

De la même manière, le mécanisme de réintégration des charges financières en cas d’intégration d’une société acquise d’un actionnaire contrôlant le groupe (amendement Charasse) est étendu aux cas :

  • d’acquisition des titres d’une société étrangère
  • de rachat auprès de la société étrangère des titres d’une société sœur française

Les dispositifs prévus afin de pouvoir reconstituer un groupe dans le prolongement de celui qui cesse dans les cas de fusion, absorption ou acquisition de la société mère (CGI, art. 223 L-6) sont étendus à certaines opérations portant sur le capital de l’entité mère non résidente ou d’une société étrangère. On retiendra notamment que le dispositif d’imputation sur une base élargie (CGI, art. 223 I-5) s’appliquera également dans ces situations où le déficit d’ensemble du groupe devient un déficit propre de la société mère du groupe dissous.

Le dispositif nouveau s’applique aux exercices clos à compter du 31 décembre 2014. Pour 2014, le délai de constitution d’un groupe horizontal est par définition expiré. Le texte ne prévoyant aucune modalité particulière de déclaration pour ce premier exercice d’application, on peut penser que c’est l’Administration qui prévoira un délai spécial exceptionnel.

Restrictions apportées au régime mère-fille

Le régime mère-fille (CGI, art. 145 et 216) a fait l’objet de restrictions nouvelles, poursuivant un double objectif.

En premier lieu, il est procédé à la transposition de la directive mère-filiales telle que modifiée en juillet dernier par le Conseil de l’Union européenne (dans le cadre de la lutte contre les hybrides).

Celle-ci prévoit désormais que le régime mère-filiales n’est pas applicable dans l’Etat d’établissement de la société mère, lorsque le paiement effectué au titre d’un prêt hybride est fiscalement déductible dans l’Etat de la source. Les Etats membres ont jusqu’au 31 décembre 2015 pour la transposer dans leur droit interne.

L’article 145 du CGI est ainsi modifié pour exclure du régime mère-fille, les produits des titres d’une société dans la proportion où les bénéfices distribués sont déductibles du résultat imposable de cette société.

En second lieu, le régime mère-fille sera également écarté en présence de dividendes prélevés sur les bénéfices d’une société afférents à une activité non soumise à l’IS ou à un impôt équivalent. Cette exclusion nouvelle a été proposée par le Gouvernement et justifiée par la lutte contre l’optimisation fiscale agressive.

Le Ministre a ainsi recadré une proposition de certains députés de refuser plus largement le régime mère-fille aux dividendes prélevés sur des bénéfices non effectivement soumis à l’IS ou à un impôt équivalent. On observera qu’à défaut, aurait été reprise la solution récemment retenue par le TA de Montreuil (décision du 1er juillet 2014, n° 1210110).

La mesure nouvelle aménage doublement le texte. D’une part, la liste des exclusions spéciales – et donc nécessairement limitative – est transformée en une règle à formulation générale qui exclut du régime d’exonération, les produits prélevés sur les bénéfices des activités non soumises à l’IS. D’autre part, en prévoyant que sont concernées les activités non soumises à l’IS ou un IS équivalent, le champ d’application territorial de la règle est étendu mécaniquement et couvre les filiales non résidentes de façon générale. Désormais, plutôt que de lister les statuts de sociétés totalement ou partiellement exonérées d’IS, l’exclusion est définie au regard du traitement à l’IS de l’activité exercée par la filiale considérée.

S’agissant de l’appréciation de la notion d’activité non soumise à l’IS, le Ministre du budget, reprenant l’exposé des motifs de l’amendement parlementaire, a apporté en séance en 1re lecture à l’Assemblée nationale des précisions utiles sur la méthodologie à retenir. Il a ainsi indiqué « (…) que cette règle doit être appréciée au regard du traitement général du bénéfice de la filiale distributrice, sans tenir compte d’un éventuel régime particulier accordé à tel ou tel type de produits. Ainsi, serait exclu du régime des sociétés mères les produits provenant de filiales exonérées d’impôt sur les sociétés ; en revanche et conformément à ce que prévoit la directive, continueraient à en bénéficier les produits provenant de filiales même faiblement imposées ou bénéficiant de mesures d’assiette favorables, en amont de la constitution du résultat imposable ». Le Ministre a ajouté que « Par ailleurs, dans le cas où coexistent un secteur imposé et un secteur exonéré, seul le secteur exonéré serait exclu du régime des sociétés mères, à l’instar de ce qui est actuellement prévu à l’article 145, comme dans le cas des sociétés d’investissement immobilier cotées ».

En définitive, on peut résumer les différents traitements applicables :

  • les activités de la filiale sont totalement exonérées ou hors du champ d’application de l’impôt sur les bénéfices dans l’État où elle est établie : les produits qu’elle distribue à sa mère française seront exclus du bénéfice du régime. On notera qu’une centaine de pays accordent des exonérations d’IS temporaires pour l’installation de projets industriels d’envergure, ce qui serait de nature à s’opposer à l’application du régime mère-fille en France
  • la filiale exerce plusieurs activités qui ont des statuts différents au regard de l’impôt sur les bénéfices (on pense aux sociétés étrangères ayant dans leur pays un statut de sociétés d’investissement immobilier cotées, mais aussi à des régimes étrangers prévoyant une exonération pour certaines activités industrielles spécifiques par exemple) : les dividendes prélevés sur le secteur exonéré n’ouvriront pas droit au régime mère-fille ; la constitution d’un secteur taxable et d’un secteur exonéré se justifiera
  • la filiale étrangère est établie dans un pays où le taux de l’impôt sur les sociétés est extrêmement faible : dès lors que le texte n’exige pas un niveau d’imposition minimum, il suffit que la société soit soumise à l’impôt sur l’ensemble de ses activités pour que ses distributions ouvrent droit au régime mère-fille
  • redistribution par une filiale à sa mère des produits qu’elle a reçus de ses propres filiales sur lesquels elle a elle-même bénéficié du régime mère-fille : dès lors que la filiale est soumise à un impôt équivalent à l’IS sur l’ensemble de ses activités, les dividendes qu’elle redistribue devraient eux aussi ouvrir droit au régime mère-fille ; à l’occasion de la discussion du texte devant le Sénat, la secrétaire d’État au numérique a clairement abordé ce point : « Si la société distributrice est soumise à l’impôt sur les sociétés, ses distributions seront éligibles au régime mère-fille : peu importe, à cet égard, qu’elle redistribue des produits reçus de ses propres filiales et relevant du régime mère-fille ». Le contraire serait manifestement en contrariété avec la directive mère-fille. Malgré ces éléments convaincants, il faut savoir que certains acteurs économiques craignent que l’activité de gestion de titres de participation aux Pays Bas soit regardée par l’Administration comme une activité non soumise à l’IS
  • la filiale est soumise à l’IS ou à un impôt équivalent mais n’y est pas effectivement soumise en raison d’une situation déficitaire : le critère de la soumission à l’impôt doit s’apprécier au niveau de l’activité de l’entreprise, et donc de son statut au regard de l’IS uniquement. Des arguments peuvent également être trouvés dans la jurisprudence communautaire. Ainsi, l’objectif de neutralité sur le plan fiscal de la distribution de bénéfices par une filiale à sa mère établie dans un autre État membre conduit à éviter que les bénéfices distribués ne soient frappés une fois dans le chef de la filiale et une seconde fois entre les mains de la société mère. L’article 4 de la directive laisse aux États le choix entre deux méthodes pour ce faire : celle de l’exonération ou celle de l’imputation. En revanche, aucune condition relative à l’existence d’autres bénéfices imposables pour que les dividendes perçus par la société mère soient exonérés n’est posée (ni pour la filiale ni pour la mère). Dans une affaire Cobelfret de février 2009, la CJUE a eu l’occasion de juger que les États membres ne sauraient instaurer unilatéralement des mesures restrictives telles que l’exigence de bénéfices imposables dans le chef de la société mère et soumettre ainsi à des conditions non prévues par le texte la possibilité de bénéficier des avantages de la directive (CJCE, 12 févr. 2009, aff. C-138/07, Belgische Staat c/ Cobelfret NV, pt 36). Tel avait précédemment été le cas s’agissant de l’exigence d’une période minimale déjà accomplie au moment de la distribution des bénéfices pour lesquels l’avantage fiscal est demandé (CJCE, 17 oct. 1996, aff. C-283/94, C-291/94 et C-292/94, Denkavit et a., pt 26). Aussi, le principe est parfaitement transposable à une condition portant sur l’existence de bénéfices imposables de la filiale. En outre, refuser l’exonération dans cette situation laisserait subsister la double imposition économique en contrariété avec les objectifs de la directive, le déficit utilisé par l’imputation des dividendes ne pouvant être reporté à due concurrence, ce qui a pour effet de majorer d’autant la base fiscale de l’exercice suivant (situation également déjà jugée comme étant non admise par la CJUE).

Ces exclusions nouvelles s’appliqueront aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2015.

Enfin, on notera que cette mesure fait partie des dispositions contre lesquelles les parlementaires ont intenté un recours devant le Conseil constitutionnel.

Rachat d’actions

Le régime fiscal applicable aux sommes réparties aux associés ou actionnaires dans le cadre du rachat de ses propres titres par une société sera désormais le même qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales. Les sommes concernées relèveront du seul régime des plus-values.

Cette mesure fait notamment suite à la décision récente du Conseil constitutionnel qui a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l’article 112-6° du CGI en ce qu’elles opéraient une différence de traitement entre les sommes attribuées aux associés ou actionnaires personnes physiques à l’occasion du rachat par une société de ses propres titres, en fonction de la procédure légale de rachat suivie (décision n° 2014-QPC du 20 juin 2014).

En écartant la qualification de revenus distribués, la mesure nouvelle a pour effet de dispenser la société émettrice de l’obligation d’acquitter sur la somme consacrée au rachat, la contribution de 3 % sur les revenus distribués, ainsi que d’appliquer, le cas échéant, une retenue à la source aux sommes remboursées à ses associés non-résidents.

En revanche, dans l’hypothèse où l’associé ou l’actionnaire se trouverait être une personne morale, il ne lui sera plus permis de se prévaloir de la décision Société Générale (arrêt du 20 mars 2013, n° 349669) et il ne pourra donc plus bénéficier du régime mère-fille. Dans la majorité des cas, la plus-value sera imposée selon le régime applicable aux plus-values de cessions de titres de participations (exonération, sous réserve de la réintégration d’une quote-part de frais et charges de 12 %).

Pour les associés personnes morales, cette harmonisation s’appliquera aux rachats effectués à compter du 1er janvier 2015.

Droits d’enregistrement applicables aux cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière

On sait que depuis le 1er janvier 2012, les cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière font l’objet d’un régime spécifique au regard des droits d’enregistrement. Elles sont ainsi soumises à un taux de 5 %, sur une assiette comprenant, à concurrence de la fraction des titres cédés, la valeur réelle des biens et droits immobiliers détenus, directement ou indirectement, au travers d’autres personnes morales à prépondérance immobilière, après déduction du seul passif afférent à l’acquisition desdits biens et droits immobiliers, ainsi que la valeur réelle des autres éléments d’actifs bruts (CGI, art. 726 II. al. 2).

Cette règle d’assiette spécifique a été supprimée et ces cessions seront donc à nouveau soumises au droit commun, et les droits d’enregistrement seront ainsi liquidés sur la seule valeur des titres cédés. A défaut de date d’entrée en vigueur expresse, cette mesure s’appliquera aux cessions réalisées à compter de l’entrée en vigueur de la loi.

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Patrick Fumenier

Patrick Fumenier a été avocat associé en charge de développer le knowledge management au sein de Deloitte Société d’Avocats de septembre 2016 jusqu’à son départ du Cabinet en janvier 2020. […]