L’entreprise en difficulté en France en 2016 : Un équilibre fragile

L’évolution du droit de l’insolvabilité au niveau de l’Union européenne (UE)

Quel constat la Commission européenne tire-t-elle de la situation actuelle au plan de l’UE ?

Chaque année, au sein de l’Union, 200 000 entreprises font l’objet d’une procédure d’insolvabilité, générant près d’1,7 million d’emplois perdus. Un quart de ces procédures, soit 50 000, correspondent à des procédures transfrontalières, impliquant créanciers et débiteurs dans plus d’un Etat membre de l’UE.

La Commission européenne veut prendre en compte la situation tant du débiteur (entreprise ou entrepreneur) que du salarié, mais aussi du créancier, de l’investisseur et de l’actionnaire. Cette évolution porte sur deux niveaux distincts, d’abord au niveau de l’UE, puis au niveau national, qu’il convient de distinguer :

Au niveau de l’UE

Le règlement du 20 mai 2015 a abrogé le règlement du 29 mai 2000. Cette réforme concernera les procédures d’insolvabilité transnationales ouvertes au sein de l’UE à compter du 26 juin 2017.

Le Règlement du 29 Mai 2000

Pour simplifier et sans être exhaustif, rappelons que le règlement du 29 mai 2000 (1346/2000) constitue une sorte de code de la route des droits nationaux de l’insolvabilité de 27 Etats membres (le Danemark n’est pas concerné). Il permet de répondre aux questions suivantes, en présence d’une procédure d’insolvabilité ouverte à l’égard d’un débiteur ayant des activités, des actifs ou des créanciers situés dans plusieurs Etats membres :

  • Quel est le tribunal compétent pour ouvrir la procédure d’insolvabilité ?
  • Quel est le droit national applicable à cette procédure ?
  • Quelle sera la reconnaissance de cette procédure dans les autres Etats membres concernés ?

Il s’agit de la première tentative de coordination entre les différents droits nationaux pour faciliter les procédures d’insolvabilité transnationales. Ce règlement repose sur la localisation du centre des intérêts principaux du débiteur, le fameux COMI.

L’Etat membre sur le sol duquel est établi le débiteur est compétent pour ouvrir la procédure d’insolvabilité dite principale. Le tribunal compétent (lieu du COMI) doit appliquer son droit national et les effets de la procédure sont automatiquement reconnus dans tous les autres Etats membres (pas besoin de formalités).

Un créancier situé dans un autre Etat membre où est localisé un établissement du débiteur (et non une filiale) peut demander au tribunal local l’ouverture d’une procédure dite secondaire dont les effets sont limités aux seuls actifs situés dans cet autre Etat membre, avec une seule issue possible, la liquidation.

Le Règlement du 20 Mai 2015

Dans un contexte où les activités des entreprises sont de plus en plus transfrontalières, le règlement du 20 mai 2015 (2015/848) répond aux besoins suivants : améliorer son fonctionnement, remédier à ses insuffisances, rattraper le décalage avec la nouvelle réalité économique, tenir compte de l’évolution des pratiques et des lois (nouveaux outils de prévention et de redressement), prendre en compte l’élargissement de l’UE et lutter contre le forum shopping qui consiste pour un débiteur à demander l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans l’Etat membre qui servira au mieux ses intérêts, au détriment des créanciers.
 

  1. Le premier volet du nouveau règlement de 2015 porte sur l’élargissement de son champ d’application pour couvrir les procédures hybrides et de prévention des difficultés. Ce premier volet répond à un objectif ambitieux et pragmatique : s’ajuster à la réalité des nouveautés du droit de l’insolvabilité. Il est limité aux procédures publiques, les procédures confidentielles restant exclues.
     
  2. Le second volet concerne la détermination du COMI pour l’ouverture de la procédure principale. Pour lutter contre le forum shopping , la présomption de la localisation du COMI du débiteur personne morale au lieu de son siège statutaire nécessite que ce siège n’ait pas été transféré dans un autre Etat membre moins de trois mois avant la demande d’ouverture de la procédure. Le COMI doit être vérifiable par les créanciers qui disposent d’un droit de contestation. Autre nouveauté, le COMI des personnes physiques est désormais défini.
     
  3. Le troisième volet concerne les procédures secondaires qui ne sont plus uniquement liquidatives (le redressement des établissements rentables devient une option). Il est désormais possible de suspendre leur ouverture pour faciliter un plan de restructuration. Innovation majeure, elles sont désormais facultatives : le tribunal peut écarter leur ouverture à condition d’avoir obtenu un engagement unilatéral du praticien nommé dans la procédure principale, garantissant aux créanciers locaux les mêmes droits dans la répartition des fonds que les droits qu’ils auraient eu en cas d’ouverture d’une procédure secondaire. Le droit applicable restera le droit local et cet engagement devra être approuvé à la majorité des créanciers locaux qui disposent d’un droit de recours contre le projet de répartition. Cette disposition, qui pourrait être de nature à favoriser la compétition entre les praticiens de l’insolvabilité, marque cependant pour nombre d’entre eux les prémices d’une harmonisation opérationnelle des pratiques.
     
  4. Le quatrième volet concerne les groupes de sociétés en difficulté qui étaient ignorés par le règlement de 2000. Le but de la réforme est de permettre la restructuration du groupe dans sa globalité.
    • La première mesure porte sur la coopération et la communication entre les praticiens et entre les juridictions pour faciliter la gestion effective des procédures d’insolvabilité : échange d’informations, entraide, répartition des tâches et des pouvoirs, désignation des praticiens, tenue des audiences, homologation de protocoles, suspension de vente d’actifs, etc.  
    • La seconde mesure porte sur la création d’une procédure spécifique et facultative, dite de coordination : les praticiens désignent à la majorité des deux tiers le tribunal le plus approprié pour ouvrir cette procédure. Ce tribunal nomme ensuite un coordinateur (tiers indépendant) qui, à son tour, émet des recommandations qui ne s’imposent pas aux praticiens. Il propose un programme de coordination collective (série de mesures pour une approche intégrée de la résolution des difficultés financières des entités du groupe) et arbitre les conflits entre praticiens. Le succès de cette procédure de coordination dépendra de la qualité des relations entre praticiens et de l’autorité du coordinateur.
        
  5. Le cinquième volet porte sur la transparence des procédures par la création de registres. Au niveau national et au plus tard le 26 juin 2018, les Etats membres devront tenir un ou plusieurs registres nationaux d’insolvabilité, accessibles au public et devant contenir un certain nombre d’informations. Au niveau de l’UE et au plus tard le 26 juin 2019, la Commission devra mettre en place un système décentralisé permettant l’interconnexion de ces registres d’insolvabilité nationaux via le portail e-justice.
      
  6. Le sixième volet vise à améliorer les droits des créanciers étrangers qui disposeront d’un délai minimum de 30 jours pour déclarer leurs créances et pourront utiliser un formulaire facultatif uniformisé de déclaration des créances, accessible en ligne.

Pour Hélène Bourbouloux, ce règlement apparaît majeur car « il s’agit d’un début de reconnaissance du traitement de l’insolvabilité d’un groupe de sociétés sur le fond et pas seulement sur la forme. Les propositions de sauvetage du règlement se font au niveau du groupe. C’est fondamental, car cela change la grille de lecture. Si l’échelon de sauvetage est au niveau de la personne morale dans nos législations nationales, celui retenu par le règlement se positionne au niveau du groupe. C’est perçu ainsi par les lenders . »

Au niveau national

La Commission européenne encourage les 28 Etats membres de l’UE à réformer leur droit national sur la base de principes partagés par tous : c’est l’objectif ambitieux d’harmonisation matérialisé par sa proposition de directive du 22 novembre 2016.

Projet de directive du 22 novembre 2016

Ce projet d’harmonisation des droits nationaux des 28 Etats membres en matière d’insolvabilité ressort du constat d’imprévisibilité et d’inefficacité des procédures collectives : effet dévastateur des procédures sur les entreprises et l’emploi, taux de recouvrement des créances très différents selon les Etats membres. La divergence entre les 28 droits nationaux constitue un obstacle majeur à la libre circulation des capitaux et le marché du crédit en Europe (volume important de prêts sous-performants) et donc à la compétitivité de l’UE.

Lionel Corre, pour le CIRI, accueille favorablement l’initiative de la Commission européenne car « il est important d’avoir des alignements de position juridique sur des dossiers complexes avec une bonne fluidité des capitaux. » 

D’où l’idée d’une harmonisation qui améliorerait la prévisibilité que recherchent les investisseurs et encouragerait le sauvetage précoce des entreprises viables et donc l’emploi. La Commission évoque une nouvelle approche en matière d’insolvabilité et une culture du sauvetage mais n’a pas pour ambition d’harmoniser les aspects fondamentaux de l’insolvabilité : ce projet serait trop complexe, compte tenu des divergences nationales importantes et des interconnections avec les autres branches du droit.

Pour le Président de l’ARE, Me Jean- Dominique Daudier de Cassini « le projet de directive s’inspire du droit français de l’entreprise en difficulté, en reconnaissant l’intérêt des outils amiables de prévention, sans toutefois les reproduire à l’identique. C’est l’idée d’anticipation qui est reprise. »

La directive préfère définir des principes et une série de mesures ciblées et réalistes autour de 3 thèmes :
 

  1. Le premier thème qui nous semble le plus important est la promotion des outils de restructuration précoce des entreprises viables pour les aider à poursuivre leur activité et à préserver l’emploi, via des outils d’alerte précoce de détection des difficultés et des procédures de prévention permettant la restructuration et évitant l’insolvabilité, articulées autour de principes simples parfois inspirés du « Chapter 11 » américain parmi lesquels nous citerons :
    • le maintien du débiteur aux commandes de son entreprise,
    • la limitation à 4 mois, renouvelables 2 fois, de la suspension des poursuites,
    • l’encadrement du plan de restructuration,
    • le regroupement des créanciers en différentes classes,
    • la possibilité d’imposer ce plan à une ou plusieurs classes de créanciers dissidents ainsi qu’aux actionnaires réfractaires (cross class cramdown),
    • l’évaluation systématique de la valeur de l’entreprise,
    • la protection absolue du New Money et des transactions prévus au plan,
    • et enfin, les contraintes fortes sur le dirigeant pour qu’il prenne les mesures qui s’imposent en cas de probabilité d’insolvabilité, de façon à protéger l’entreprise et son environnement.
  2. Le second thème porte sur la seconde chance des entrepreneurs « honnêtes » en vue d’un rebond, articulée autour de la libération totale du poids de la dette, la limitation des mesures d’interdiction de gérer dans un délai maximum de 3 ans et le traitement coordonné des dettes professionnelles et personnelles.
     
  3. Le troisième thème vise l’efficacité des procédures collectives par la formation et la spécialisation des juges. Pour les praticiens de l’insolvabilité, la Commission insiste sur leur formation, un code de conduite, des contrôles, un processus de désignation prévisible avec consultation du débiteur et des créanciers, un régime de sanctions approprié et un système de rémunération au mérite. En cas de procédure transfrontalière, leur désignation dépendra (i) de leur capacité à communiquer et à coopérer avec leurs collègues étrangers et (ii) de la taille de leurs équipes. D’autres mesures sont préconisées comme l’optimisation des moyens de communication électroniques et la mise en place d’un outil national de statistiques avec un rapport annuel à la Commission.
     

Les Etats membres auraient 2 ans pour appliquer cette directive qui prévoit un premier contrôle de la Commission au bout de 5 ans, puis tous les 7 ans.

Elève moyenne (14e sur 28 pour l’efficacité de ses procédures collectives), la France est déjà à la pointe de l’innovation dans la prévention et la seconde chance. Elle bénéficie également d’un avantage grâce à la sauvegarde, avec la possibilité d’imposer aux créanciers d’un comité une solution de restructuration avec deux tiers des voix alors que cette majorité est portée aux trois quarts avec les procédures britanniques.

Cette directive nécessiterait en France quelques ajustements comme la suppression de l’implication systématique des tribunaux ou des mandataires de justice, la réduction de la durée maximale de la période d’observation de 18 à 12 mois, la séparation des créanciers privilégiés et chirographaires en 2 classes distinctes, l’intégration du cross class cramdown (suppression de l’accord unanime de tous les comités de créanciers) et la systématisation d’une évaluation de l’entreprise best interest test.

Toujours au stade de projet, il conviendra d’attendre que la directive soit définitive pour pouvoir l’appliquer.

Article écrit avec la collaboration de Jean-Pascal Beauchamp de Deloitte

Photo de Stéphanie Chatelon
Stéphanie Chatelon

Stéphanie Chatelon, Avocat Associée, dirige le département droit des affaires. Elle conseille les entreprises en difficulté et gère régulièrement toutes les questions relatives aux mesures de prévention, procédures collectives et […]