L’autonomie fiscale des collectivités territoriales, histoire d’une relation « amour-haine » entre l’Etat et les collectivités territoriales

Alors qu’il est évoqué un gel des concours de l’Etat aux collectivités territoriales et que les finances de ces dernières subissent de plein fouet les conséquences de la crise, il est aujourd’hui impératif de s’interroger sur la pertinence de leur système de financement. Des impôts locaux « à bout de souffle» et la complexité des relations financières imposent une réforme des finances locales. De nouvelles voies doivent être explorées afin de garantir la capacité des collectivités territoriales d’agir et de préserver voire de renforcer la décentralisation de notre République.

La problématique

La question des finances des collectivités territoriales est devenue une des questions majeures du débat politique et économique français. Elle conditionne aujourd’hui le succès de la décentralisation à la française. Les collectivités territoriales françaises n’ont acquis que tardivement leur autonomie financière. La loi du 31 décembre 1970 a allégé les modalités d’exercice de la tutelle préfectorale en supprimant l’approbation préalable du budget des communes. A compter de 1982, les « lois Deferre » ont rendu les budgets locaux exécutoires de plein droit, supprimé les régimes de contrôle et d’approbation préalables en matière d’emprunt et globalisé une partie des subventions d’équipement de l’Etat au sein de la dotation globale d’équipement. Malgré cette évolution vers un renforcement de leur autonomie financière, les collectivités territoriales n’ont qu’une maîtrise partielle de leurs recettes, et ce alors même que les compétences qu’elles exercent au service de la communauté ne cessent de croître en importance et en volume. La conséquence de ces évolutions contradictoires conduit au malaise des collectivités locales à propos de leur financement. Pour tenter de comprendre la crise actuelle et proposer des solutions, un état des lieux des finances locales s’avère nécessaire. Les collectivités territoriales disposent de trois sources de financement : les recettes fiscales, les dotations de l’Etat et l’endettement. Le paysage juridique encadrant les finances locales a été singulièrement modifié depuis quelques années. Aujourd’hui la Constitution affirme que la République est décentralisée. Plus précisément, sur la question qui nous intéresse, depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, le nouvel article 72-2 de la Constitution prévoit :

Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi.

Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine.
Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en oeuvre.

Tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagné de ressources déterminées par la loi.

La loi prévoit les dispositifs de péréquation destinées à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales.

La loi organique du 29 juillet 2004 a prévu les modalités d’application des dispositions constitutionnelles de l’article 72-2. La notion de « part déterminante », mentionnée dans le texte constitutionnel, est restée indéfinie dès lors que l’article de la loi organique la définissant a été déclaré non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (DC., 29 juillet 2004). Ne reste donc dans le Code général des collectivités territoriales que la précision selon laquelle la part représentée par les ressources propres ne pouvait être inférieure pour chaque catégorie au niveau constaté en 2003 (année d’achèvement de la suppression de la prise en compte des salaires dans les bases de la taxe professionnelle). Ces éléments juridiques sont d’autant plus importants aujourd’hui que le montant des dépenses des collectivités territoriales représente près de 195 milliards € en 2007. Pour la même année, au niveau des investissements, la formation brute de capital des administrations publiques locales s’élevait à 45,14 milliards € contre 6,7 milliards € pour l’Etat seul. En termes relatifs, l’investissement des administrations publiques locales représente près de 73% de l’investissement public. C’est dire qu’aujourd’hui les finances des collectivités territoriales revêtent une importance majeure dans l’économie française.

Le cadre juridico-administratif du financement des collectivités territoriales

En tout premier lieu, il convient de noter qu’un paradoxe demeure. En effet, en dépit du processus de décentralisation initié depuis le début des années 1980 et de l’affirmation aujourd’hui constitutionnalisée et sans cesse répétée selon laquelle la France est une république décentralisée, l’Etat joue un rôle déterminant sur trois aspects au moins dans le financement des collectivités territoriales :

  • l’Etat fixe les règles relatives aux recettes et aux dépenses des collectivités territoriales ;
  • l’Etat, en prenant à sa charge une part croissante de la fiscalité locale (notamment au travers de la compensation plus ou moins complète assurée par l’Etat des exonérations, des dégrèvements et autres réductions ou abattements des impôts directs locaux) est, comme nous le verrons plus loin le premier contribuable local ;
  • l’Etat, en versant divers concours et subventions aux collectivités, se trouve à l’origine directe d’une part substantielle des ressources définitives des communes, des départements, des régions et de leurs établissements publics.

Alors même que le principe de libre administration des collectivités territoriales a été érigé depuis les débuts de la Cinquième République en principe à valeur constitutionnelle, la décentralisation à la française ne tient ou ne vaut que grâce à l’appui permanent et structurel de l’Etat.

Ce contexte juridique est d’autant plus important à mentionner que la situation financière des collectivités territoriales a été aggravée sous les coups de la crise économique.

Face au constat de la dégradation des finances locales, les pouvoirs publics et les associations d’élus réfléchissent à des solutions qui pourraient permettre de surmonter la crise. Ainsi, une Commission sur les dépenses locales présidée par Gilles Carrez a-telle été instituée afin de dégager des pistes de réflexion. En tout état de cause, les premières pistes envisagées par l’Etat ne sont pas des plus satisfaisantes. Il n’est qu’à citer la proposition du gel des concours de l’Etat aux collectivités territoriales alors même que l’Etat n’a eu de cesse de confier des compétences additionnelles aux collectivités territoriales. Ce gel sera d’autant plus préjudiciable pour les contribuables qu’au vu des dépenses obligatoires incombant aux collectivités territoriales, leur seul moyen pour y faire face sera d’augmenter la fiscalité.

Ce travail de réflexion est d’autant plus nécessaire qu’a été votée la réforme de la taxe professionnelle et que le projet de réforme territoriale est actuellement débattu.
Les collectivités territoriales évoluent dans un contexte législatif et réglementaire des plus mouvants.

Une fois décrit cet environnement marqué par la crise et l’incertitude sur les mécanismes de financement des collectivités territoriales, il convient de rentrer dans le détail des dispositifs permettant aux collectivités locales de disposer de ressources d’exercer les compétences qui leur ont été confiées. En effet, le coeur de la problématique financière des collectivités territoriales françaises actuelle c’est d’abord le problème des ressources.

Mais une réflexion sur les ressources des collectivités territoriales françaises ne peut être conduite que si une réponse est donnée à la question fondamentale sous-jacente à toute réflexion sur le sujet : quel modèle de décentralisation veut-on pour la France ? Cette question, comme nous le verrons tout au long de cet article, pose paradoxalement le problème fondamental en France de la relation entre l’Etat et les collectivités territoriales, une relation plus que complexe !

Sur cette question de la relation Etat-Collectivités territoriales, quelques chiffres doivent être rappelés. L’ensemble des financements accordés par l’Etat aux collectivités territoriales, hors fiscalité transférée s’élève à 75,4 milliards €. Pour rendre compte de l’effort financier de l’Etat en faveur des collectivités territoriales, il faut ajouter à ce dernier chiffre la somme de 21,4 milliards € de fiscalité transférée (Source : Loi de finances initiale pour 2009, Jaune budgétaire, « Effort financier de l’Etat en faveur des collectivités territoriales »). Au 1er janvier 2009, la dette des administrations locales (au sens de Maastricht) représente, quant à elle, un montant de 146,7 Milliards € soit 7,5% du PIB.

Evoquer le financement des collectivités territoriales, c’est donc d’abord et avant tout réfléchir sur les trois sources essentielles de ressources dont disposent les collectivités, la fiscalité, les dotations de l’Etat et l’endettement.

Le financement par l’impôt ou la recherche illusoire de la liberté

Les collectivités territoriales recourent à l’impôt pour financer leurs dépenses. Les recettes fiscales sont à titre principal constituées de quatre impôts dénommés « les quatre vieilles » auxquelles s’ajoutent quelques autres contributions : la taxe d’habitation, la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties ainsi que la plus jeune des quatre vieilles, la contribution économique territoriale (CET), créée en remplacement de la taxe professionnelle, elle-même créée au milieu des années 1970 en remplacement de la patente. En 2009, le produit voté des quatre taxes directes s’élève à 71 milliards€.

A ces recettes tirées de la fiscalité directe s’ajoutent notamment les droits de mutation à titre onéreux, une fraction du tarif de la taxe intérieure sur les produits pétroliers attribuée aux régions et aux départements, ainsi que la toute nouvelle imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER).

La taxe d’habitation, due par l’occupant d’un immeuble affecté à l’habitation, représente ainsi 23% du produit des quatre taxes (16,5 milliards € en 2009).

La taxe foncière sur les propriétés bâties, due par tous les propriétaires fonciers au 1er janvier de l’année d’imposition, représente quant à elle près du tiers du produit des quatre taxes (22,3 milliards d’euros). Malgré son faible poids dans le total, le foncier non bâti représente encore plus de 20% des ressources fiscales de 13 000 communes, et constitue même la première ressource pour plus de 4 700 d’entre elles (0,9 milliards €, soit 1,2%).

D’autre part, feu la taxe professionnelle, avec 31,3 milliards d’euros de produit voté, représentait à elle seule près de la moitié du produit de la fiscalité directe locale.

Certains impôts indirects à destination des collectivités locales connaissent des évolutions cycliques, à l’image des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Ainsi, de 1996 à 2007, le montant des droits de mutation à titre onéreux est ainsi passé de 3,6 à 10 milliards € en 2007, soit une évolution annuelle moyenne de 10,4 %. Cette forte augmentation fut principalement due à l’immobilier d’habitation qui représente près de 80 % du produit des droits de mutation contre 20 % pour l’immobilier professionnel.
Sur la période allant de 2000-2007, les droits de mutation à titre onéreux ont augmenté beaucoup plus rapidement que les autres recettes fiscales des collectivités locales. Par voie de conséquence, leur poids dans le budget des collectivités territoriales n’a pu qu’augmenter, notamment pour les départements. A Paris par exemple, les droits de mutation à titre onéreux représentaient plus de la moitié des recettes fiscales du département avant la crise de 2008.

C’est que le produit des droits de mutation à titre onéreux est fortement dépendant de la conjoncture immobilière. La crise qui touche la France depuis 2008 a entrainé une prise de conscience de la précarité de cette ressource. Sous l’effet du retournement du marché immobilier, l’été 2008 a marqué une rupture brutale dans le rythme d’évolution des droits de mutation à titre onéreux puisque leur rendement a chuté de 8,5 % en 2008. Les départements sont particulièrement touchés, ces impôts représentent 11 % de leurs recettes de fonctionnement. Les départements ont déjà subi un tel choc immobilier en 1991 et 1992. Les recettes de DMTO encaissées avaient alors diminué d’environ 10 % et entre 1991 et 1996.

Ce déclin s’est poursuivi en 2009 et constitue un élément d’explication, parmi d’autres, de l’importante hausse des taux votés en 2009 par les départements. Par un système de vases communicants inhérent au financement des collectivités territoriales, la diminution rapide des ressources liées aux droits de mutation s’est retrouvée compensée par une augmentation corrélative de la pression fiscale. C’est là un des points critiques du système de financement des collectivités territoriales puisque l’élasticité des recettes aux taux ne permettra pas de poursuivre dans cette voie sans affecter le rendement de ces impositions.

Les recettes des « autres contributions » directes et indirectes (telles que les taxes locales d’électricité qui représente une recette de 1,4 Milliard, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la taxe spéciale sur les conventions d’assurance ou encore la taxe sur les cartes grises) sont également en hausse depuis 2005 et la mise en application de la loi de décentralisation du 13 août 2004. Elles représentaient ainsi, en 2008, 16,7% des recettes de fonctionnement des collectivités territoriales (contre 12,7% en 2004).

Genèse et évolution de la fiscalité directe locale

Les impôts directs locaux, avant de constituer la ressource principale des collectivités territoriales, avaient été conçus en 1790 par la Constituante comme des impôts d’Etat. Ce n’est que lorsque l’Etat s’est doté d’une fiscalité plus adaptée à la vie économique moderne (notamment après avoir adopté l’impôt sur le revenu en 1914 à l’initiative du Parti radical et de Joseph Caillaux) que ces impôts ont été transférés aux collectivités territoriales.

A un système fiscal comprenant un impôt foncier, un impôt des patentes et une contribution mobilière, s’est ajouté, avec le Directoire, un impôt sur les portes et fenêtres, impôt fortement critiqué (Joseph Caillaux parlera d’impôt sur l’air et la lumière) qui ne sera supprimé qu’en 1926.

La loi du 31 juillet 1917 modifie profondément la fiscalité locale en France avec le transfert de la contribution des patentes et de la contribution mobilière aux collectivités territoriales. Elles continueront d’être calculées en fonction de ce qu’elles auraient rapporté fictivement à l’Etat (« le principal fictif ») afin que les collectivités territoriales puissent, sur cette base, voter des « centimes additionnels » (lorsque l’Etat percevait 1 franc, les collectivités pouvaient demander que soient levés un ou plusieurs centimes pour leur compte). Il faudra attendre 1948 pour que les deux taxes foncières soient à leur tour abandonnées comme impôts d’Etat et affectées exclusivement aux collectivités territoriales.

A compter du 1er janvier 1974, les anciennes contributions foncière et mobilière sont remplacées par trois nouvelles taxes : la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d’habitation.

En outre, de nouvelles valeurs locatives sont établies au 1er janvier 1970 et des clauses de révision périodique sont prévues, destinées à suivre les évolutions économiques. La loi du 18 juillet 1974 a, quant à elle pour objet d’ « instaurer un mécanisme de mise à jour régulier des bases d’imposition des impôts locaux correspondant à une révision générale des valeurs locatives tous les six ans et une actualisation de ces mêmes bases tous les deux ans au moyen de coefficients ». Faute de mise à jour, les bases des impôts directs locaux sont aujourd’hui complètement obsolètes.

Enfin, la contribution des patentes est remplacée, à compter du 1er janvier 1976, par la taxe professionnelle ou TP (loi du 29 juillet 1975).

Dernière étape décisive, la loi du 10 janvier 1980 qui est venue instaurer le principe du vote direct des taux d’imposition par les collectivités territoriales. Mais l’initiative locale fait l’objet d’un encadrement sévère par le législateur. Afin d’harmoniser la pression fiscale aussi bien du point de vue géographique qu’entre redevables, la loi institue un taux-plafond de référence au-delà duquel il est interdit d’aller. A cela s’ajoute un encadrement strict de la variation des taux.

Ce bref panorama de l’évolution historique de la fiscalité locale ne peut se conclure sans mentionner la réforme de la taxe professionnelle intervenue dans la loi de finances initiale pour 2010. Partant du constat clair selon lequel la taxe professionnelle renchérissait le coût de tout investissement en France de près de 30% (cf. le rapport de la Commission présidée par Olivier Fouquet) celle-ci est désormais supprimée. Elle est cependant remplacée par la CET composée d’une part, d’une cotisation foncière des entreprises (CFE), actuelle part foncière de la TP (les équipements et biens mobiliers, dont l’imposition était le plus contestée, ne sont donc plus taxés) et, d’autre part, d’une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), assise sur la valeur ajoutée et dont le champ d’application est plus large que celui de l’actuelle cotisation minimum de TP sur la valeur ajoutée.

Par ailleurs, la loi prévoit désormais un nouveau schéma de financement des collectivités territoriales, qu’accompagnent une nouvelle répartition des impôts directs locaux entre les collectivités, ainsi que des transferts d’impôts d’Etat à celles-ci et la mise en place à leur profit d’une imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER).

En effet, pour les collectivités territoriales et les intercommunalités, l’année 2010 est une année « neutre » : les nouvelles impositions directes locales des entreprises (CFE et CVAE) sont perçues au profit du budget général de l’Etat et le produit de la taxe professionnelle est remplacé par une « compensation relai ». Par ailleurs, un système de garantie individuelle des ressources pour chaque catégorie de collectivités territoriales complète le dispositif.

A partir de 2011, chaque collectivité bénéficiera d’un mécanisme pérenne de garantie de ses ressources. Ce dispositif prendra la forme de fonds nationaux de garantie individuelle des ressources (FNGIR), qui assureront la compensation entre les manques à gagner et les surcroîts de ressources occasionnés par la transition vers le nouveau système.

A ces mécanismes de garantie individuelle des ressources s’ajoute enfin une modification de la répartition des recettes de fiscalité directe entre catégories de collectivités territoriales. Cette dernière s’effectue de la manière suivante :

  • Le bloc communal (communes et EPCI) conserve la taxe foncière sur les propriétés bâties et devient par ailleurs attributaire unique de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, de la taxe d’habitation, de la CFE, de 26,5% de la CVAE ainsi qu’une partie des recettes tirées de l’imposition forfaitaire des entreprises de réseau ;
  • Les départements perdent la taxe d’habitation et la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Ils conservent en revanche la taxe foncière sur les propriétés bâties et deviennent attributaires de 48,5% du produit de la CVAE ainsi qu’une partie des recettes tirées de l’imposition forfaitaire des entreprises de réseau ;

Enfin, les régions perdent les deux taxes foncières et deviennent attributaires de 25% du produit de la CVAE et d’une partie notable de l’IFER correspondant notamment à l’intégralité de l’IFER relative au matériel roulant ferroviaire destiné au transport de voyageurs et de l’IFER relative aux répartiteurs principaux.

Le système fiscal local est donc le résultat d’une sédimentation de réformes nombreuses et successives. L’histoire ancienne explique également le caractère en partie obsolète des assiettes des impôts directs locaux.

Le financement par l’impôt : un théâtre d’ombres

Comme cela a été écrit en introduction du présent article, l’Etat, en exécution des lois et du budget, il faut le rappeler, votés par le Parlement, est un acteur essentiel de la fiscalité directe locale, jouant le rôle de « Deus ex Machina » de cette pièce de théâtre. Pour être plus précis, c’est à la fois lui qui fixe le cadre législatif et règlementaire de la fiscalité directe locale et qui assure la compensation des pertes de recettes résultant des différentes exonérations, dégrèvements et autres réductions.

Les collectivités territoriales n’ont pas la capacité de créer ou de modifier l’impôt. Elles n’ont qu’une liberté limitée, celle d’en voter les taux. Elles sont par ailleurs dotées d’impôts archaïques alors que l’Etat dispose d’impôts modernes et rentables. Autant d’éléments qui fondent les critiques classiques relatives à l’impuissance des collectivités territoriales à se doter de moyens financiers suffisants et acquérir une autonomie de décision.

Pourtant, dans le même temps, les budgets locaux ont pris une ampleur inconnue jusqu’alors. Ce constat n’est guère surprenant dès lors que l’Etat compense en totalité les réformes fiscales qu’il engage au nom de la solidarité nationale.

Depuis 2004, la part des contributions de l’Etat représente environ un quart des recettes fiscales perçues par les collectivités territoriales au titre des quatre taxes contre seulement un dixième vingt ans auparavant.

En effet, lorsqu’une mesure d’exonération ou de dégrèvement est votée par le Parlement, l’Etat reverse aux collectivités territoriales le produit correspondant sous forme d’une « dotation de compensation ». Assise sur les pertes de recettes constatées l’année de la réforme, elle est ensuite indexée indépendamment de l’évolution réelle de l’assiette fiscale, s’assimilant ainsi à une dotation de fonctionnement. C’est dans cette logique que la dotation créée pour compenser la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle à partir de 1999 a finalement été intégrée à la dotation globale de fonctionnement (DGF) en 2004.

Ce mécanisme doit être distingué de celui par lequel l’Etat finance les dégrèvements ou exonérations accordés à certaines catégories de contribuables. Le choix entre ces deux techniques n’est d’ailleurs pas indifférent pour les collectivités territoriales. Dans le cas d’un dégrèvement, l’Etat se substitue au contribuable pour le paiement de sa cotisation et l’opération est neutre pour la collectivité. Dans le cas d’une exonération, ce sont les bases d’imposition elles-mêmes qui sont réduites, la compensation versée par l’Etat aux collectivités s’en trouvant limitée.

La taxe professionnelle était ainsi devenue le moins « local » des impôts locaux : pour ne prendre qu’un exemple chiffré récent, en 2009, 43% des sommes versées aux collectivités à ce titre provenaient du budget de l’Etat !

La taxe d’habitation, en raison des multiples mécanismes prévus pour personnaliser cette imposition, est également abondée pour un tiers de son produit par l’Etat, contre moins de 10% en 1980. Pour cause, près de 12 millions de contribuables bénéficient d’une exonération, d’un dégrèvement total ou d’un allègement de leur cotisation. Finalement, un peu moins de la moitié seulement des contribuables paient la taxe d’habitation à taux plein. Les exonérations et dégrèvements font l’objet d’une compensation versée aux collectivités territoriales par l’Etat.

L’Acte II de la décentralisation, consacrant le principe de l’autonomie financière des collectivités territoriales, n’a fait qu’accentuer l’opposition entre des déclarations de principes revendiquant l’autonomie fiscale et une réalité dans laquelle les collectivités territoriales sont de plus en plus dépendantes de l’Etat sur le plan financier.

De fait, à la suite de cette réforme, la part des ressources propres (recettes issues de la fiscalité en grande partie) dans les ressources globales des collectivités a été réduite à 48% pour les régions, à 65% pour les départements et à 62% pour les communes et intercommunalités (chiffres de 2006). Cette substitution, causée par l’augmentation accélérée de la part de la fiscalité locale prise en charge par l’Etat, affaiblit le lien entre le contribuable local et la collectivité territoriale dont il dépend, et aboutit à une déresponsabilisation des acteurs locaux.

Le lien fiscal s’en trouve considérablement affaibli : d’une part, parce que tous ces dispositifs rendent les contribuables dégrevés moins sensibles aux variations des taux d’impositions ; d’autre part parce qu’ils ne contribuent pas à responsabiliser les élus locaux.

Pis, la complexité du système fiscal local nuit lourdement à la compréhension des impôts par les contribuables locaux. En effet, l’empilement des niveaux de perception de l’impôt local brouille la responsabilité des collectivités et réduit leurs marges de manoeuvre en les mettant en concurrence sur les mêmes assiettes fiscales. Les communes, les établissements de coopération intercommunale, les départements et les régions appliquent à une même assiette des taux d’imposition distincts. Cette superposition du pouvoir de vote incite certains élus locaux à adopter des comportements de « passager clandestin » : les échelons supérieurs (département et région) n’hésitent pas à voter des hausses de taux dont le coût politique est généralement reporté à l’échelon communal qui est directement soumis au contrôle des citoyens. Les auteurs ne résisteront pas à illustrer leur propos à l’aide d’un exemple qui leur est proche : le Conseil régional Languedoc-Roussillon a accepté des budgets proposés par son président conduisant une augmentation des impôts affectés à la Région de 154% depuis 2004.

Ce manque de lisibilité contribue à affaiblir la légitimité politique des responsables locaux en s’attaquant au principe fondamental de la démocratie libérale que constitue le consentement à l’impôt. En d’autres termes, le relâchement du lien fiscal local traduit un certain recul de la responsabilité démocratique des élus. En effet, un impôt mal compris est un impôt mal accepté. Pour preuve, la seule taxe d’habitation est aujourd’hui l’un des impôts les plus contestés par les contribuables. Elle concentre 32% des réclamations contentieuses reçues par la Direction générale des finances publiques. En raison du nombre élevé de réclamations, le coût de gestion de la taxe d’habitation représente aujourd’hui près de 4% du produit de sa collecte.

A cette complexité, une réponse a parfois été proposée : la spécialisation des impôts par collectivité. Dans ce système, chaque collectivité se verrait affecter les recettes tirées d’un impôt. Cette piste qui ne manque pas de séduire par sa simplicité et sa lisibilité pâtit toutefois d’un défaut notable : la mise en oeuvre d’une telle solution susciterait une réallocation des ressources entre les collectivités remettant en cause l’équilibre précaire actuel entre collectivités mais aussi entre les compétences exercées et les ressources disponibles.

Les dotations de l’Etat ou la recherche de l’égalité

Avant d’entrer plus avant dans le sujet des dotations de l’Etat, il est indispensable de signaler que la fiscalité locale, en plus d’être difficilement lisible et parfois obsolète, est génératrice d’inégalités criantes entre les collectivités locales. En effet, les collectivités qui jouissent de bases fiscales importantes peuvent pratiquer des taux modérés tandis que celles n’ayant que de bases restreintes sont contraintes de voter des taux élevés si elles veulent maintenir une offre importante de services publics.

Dans ce contexte, à la demande des collectivités territoriales et des contribuables, l’Etat, une fois de plus, joue le rôle d’amortisseur financier.

Bien que les collectivités territoriales aient accès à diverses sources de financement, les transferts opérés par l’Etat n’en demeurent pas moins une ressource régulière et indispensable. De nature très différente (dotations et subventions de fonctionnement, d’équipement, crédits destinés à couvrir le coût des transferts de compétence, crédits ouverts pour compenser les allègements de la fiscalité locale…), ces concours ont fortement augmenté depuis vingt ans, puisqu’ils sont passés de 24 millions € en 1985 à 75 millions € en 2009.

Nous ferons une ébauche d’inventaire avant d’analyser ces dispositifs.

Dotations et subventions

Dotations et subventions de fonctionnement

Succédant au versement représentatif de la taxe sur les salaires (VRTS) abondé par l’Etat aux collectivités territoriales jusqu’en 1977 en remplacement de la taxe locale supprimée en 1968, la dotation globale de fonctionnement (DGF), instituée par la loi du 3 janvier 1979, représente 95% du montant total des aides au fonctionnement (40,9 milliards € en 2009). Conçue comme un prélèvement sur recettes, elle est versée aux communes et intercommunalités, aux départements et, depuis 2004, aux régions.

Les lois de finances initiales pour 2004 et 2005 ont réformé de façon sensible le dispositif de la DGF en y intégrant des compensations de suppression d’impôts ou d’allègements jusqu’alors dispersés (et notamment la dotation générale de décentralisation, attribuée en compensation des charges transférées aux collectivités territoriales lors de la première vague de décentralisation).

La DGF est ainsi devenue le pivot essentiel des dotations de l’Etat aux collectivités territoriales, passant d’un montant de 19 milliards € en 2003, soit 32 % de l’effort financier de l’Etat en faveur des collectivités territoriales, à un montant de 41 milliards € en 2010, soit 80 % du total de l’effort financier de l’Etat aux collectivités territoriales.

Malgré la vocation unificatrice de la DGF, diverses dotations de fonctionnement restent autonomes. C’est le cas de la dotation spéciale créée pour compenser les charges de logement des instituteurs (38 millions € en 2009), ou bien de la dotation « élu local » (65 millions €) versée dans les communes de moins de 1000 habitants, les moins riches, pour leur permettre d’améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux. Il faut aussi ajouter une pluie de subventions de fonctionnement spécifiques, en provenance de divers ministères, qui soutiennent des initiatives locales notamment dans les domaines de la culture, du développement rural ou de la politique de la ville (1,7 milliard €).

Dotations et subventions d’équipement

Les concours financiers de l’Etat, destinés au financement des dépenses d’investissement des collectivités, s’élèvent en 2009 à 8,9 milliards €.

Nous nous bornerons ici à rappeler qu’il s’agit principalement de la dotation globale d’équipement (485 millions € en 2009) instituée par la loi du 2 mars 1982, à laquelle viennent s’ajouter les très nombreux concours à caractère spécifique versés par l’Etat, qui, de fait, participent à la complexité du système d’ensemble et rendent plus difficile la gestion de la trésorerie.

Figurent principalement parmi ces concours spécifiques les dotations du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) qui permettent de compenser la TVA que les collectivités ont acquittée sur leurs investissements (5,8 milliards €) et les diverses subventions spécifiques accordées par différents ministères, qu’elles soient de fonctionnement ou d’équipement (1,7 milliard €).

Ce maquis de dotations contribue, et ce n’est pas le moindre de ses défauts, au manque de lisibilité du dispositif.

Concours destinés à compenser les transferts de charges ou de compétences

Enfin, les dotations finançant les transferts de compétences opérés dans le cadre de la décentralisation (dotation relative à la formation professionnelle, dotation départementale d’équipement des collèges et dotation régionale d’équipement scolaire…) s’élèvent à 4,3 milliards €.

Mécanismes de péréquation

Le caractère inéquitable de la fiscalité locale résulte pour l’essentiel de la grande disparité des assiettes fiscales que peuvent mobiliser les collectivités locales. L’inégale répartition des richesses sur le territoire national constitue la source première des écarts de potentiel fiscal entre les collectivités territoriales. Par ailleurs, l’obsolescence des assiettes des impôts directs locaux entraîne une faiblesse notable du rendement de ces impôts. Cette faiblesse ne peut d’ailleurs que très partiellement être compensée par une augmentation des taux.

A titre d’exemple, le taux communal de la taxe d’habitation voté en 2005 par la municipalité de Boulogne-sur-Mer s’élevait à 29,87%, pour un revenu fiscal moyen dans cette ville d’environ 11.000 €. La même année la commune de Neuilly-sur-Seine a décidé que le taux de la taxe d’habitation ne serait que de 4,63% alors que le revenu fiscal moyen y dépasse les 62.000 €.

Le niveau des dépenses par habitant pour les communes de moins de 10.000 habitants varie du simple au triple entre les 10% de communes les moins dépensières et les 10% des communes les plus dépensières.

Le mécanisme de péréquation permet théoriquement de corriger les inégalités territoriales. Comme le suggère son étymologie, la péréquation vise à redistribuer les ressources financières afin de réduire les inégalités entre collectivités. Au sein des concours de l’Etat aux collectivités locales, plusieurs mécanismes de redistribution ont été mis en place pour corriger les fortes disparités de ressources entre collectivités locales.

Les instruments financiers de la péréquation peuvent être rangés en trois catégories :

  1. La péréquation des impôts locaux entre collectivités dite « péréquation horizontale ».
  2. La péréquation assurée par les dotations de l’Etat aux collectivités territoriales dite « péréquation verticale » concerne principalement la dotation globale de fonctionnement.
  3. Enfin, l’objectif de péréquation peut aussi être pris en compte ponctuellement lors des transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités locales.

La péréquation est ambitieuse dans ses principes. Elle l’est, hélas, beaucoup moins dans ses moyens. Les moyens qui y sont consacrés en font un médicament homéopathique qui ne suffit pas à soigner les maux dont souffrent nos territoires. Son organisation, d’une singulière complexité, est si opaque qu’on la croirait conçue pour échapper à la curiosité du profane.

La péréquation verticale transite par une multiplicité de dotations : dotation de solidarité urbaine, dotation de solidarité rurale, dotation nationale de péréquation pour les communes, dotation de péréquation urbaine, dotation de fonctionnement minimale pour les départements… Un véritable inventaire à la Prévert dont la transparence n’est pas la qualité première.

La péréquation horizontale quant à elle se résume à la redistribution d’à peine 3% du produit de la taxe professionnelle des communes riches vers les communes pauvres. La répartition étant gérée par différents organismes aux attributions relativement floues : les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, le fonds de solidarité des communes d’Ile de France. Cette invraisemblable accumulation de dispositifs institutionnels dissimule mal les limites actuelles de la péréquation. Une étude publiée en 2004 par deux économistes, Guy Gilbert et Alain Guengant1, a monté que les mécanismes de péréquation n’apportaient qu’une correction partielle aux disparités de richesses entre collectivités : en 2001, ils n’auraient réduit que de 40% les inégalités de pouvoir d’achat en termes de consommations collectives. Par ailleurs, 90% de cette correction est assurée par la péréquation verticale, c’est-à-dire par l’Etat, contre seulement 10% par la péréquation horizontale.

Certes, le constat des défauts des différents dispositifs de péréquation est fait depuis de nombreuses années dès lors qu’il est question du financement des collectivités territoriales. Toutefois il ne faut pas dissimuler et sous-estimer les efforts et progrès réalisés depuis quelques années.

Comme le note le Rapport d’information de Jacques Mézard et Rémy Pointereau de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat du 23 février 2010, l’effort de péréquation a été renforcé depuis dix ans. Il suffit, pour illustrer ce propos de rappeler que les dotations de péréquation au sein de la DGF du bloc communal a progressé de +238% entre 1998 et 2008 en passant de 1,4 milliard à 4,8 milliards €.

Par ailleurs, il convient de mentionner que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) constitue un instrument de péréquation dès lors que la répartition du produit de cette taxe entre les collectivités locales, en vitesse de croisière, se fera au niveau national en fonction de paramètres qui échappent à l’exclusivité de l’assiette fiscale locale.

Une fois posés ces quelques points de contexte, une question se pose : quels pourraient être les contours de la péréquation de demain ?

Une première réponse semble s’imposer en fonction du constat qui vient d’être fait. Le nouveau dispositif de péréquation gagnerait à être plus simple et plus lisible ce qui permettrait d’en mesurer les effets de manière plus objective.
Une deuxième ligne de réflexion s’impose. Pour que l’effort de péréquation exerce un véritable effet de levier, la péréquation doit être plus massive et surtout plus concentrée en se portant en priorité sur les collectivités dont les ressources sont beaucoup plus faibles que la moyenne.

En tout état de cause, un constat s’impose une fois de plus : la décentralisation n’est permise que grâce à l’intervention de l’Etat qui, paradoxalement assure une partie de l’autonomie de gestion des collectivités territoriales grâce aux dotations qu’il leur verse. Cette situation « d’autonomie sous dépendance », ne peut être comprise que si la distinction est clairement faite entre autonomie de gestion et autonomie de financement. En d’autres termes, il importe peu que les collectivités territoriales tirent une partie de leurs ressources de dotations venues de l’Etat dès lors que l’Etat ne peut pas en profiter pour exercer une tutelle directe sur les collectivités.

L’endettement des collectivités territoriales

Outre les recettes fiscales et les dotations de l’Etat, les collectivités locales ont recours à l’emprunt pour financer leurs dépenses d’investissement. Toutes collectivités locales confondues, les emprunts s’élevaient à 19 milliards € en 2008.

Jusqu’au début des années 1980, l’endettement des collectivités territoriales était très strictement encadré par l’Etat, guidé par le double souci de maîtriser les flux financiers du secteur public local et d’orienter les décisions d’investissement. Par conséquent, les marges de manœuvre des collectivités territoriales en matière de gestion de leur dette étaient quasiment nulles.

Tel qu’il fonctionnait avant les lois de décentralisation, le dispositif en place visait en effet à assurer à l’Etat un contrôle des prêts octroyés aux collectivités territoriales, ce qui lui permettait d’intervenir économiquement et financièrement sur les politiques locales.

D’un point de vue juridique, le système obligeait les collectivités territoriales à obtenir l’accord de l’autorité de tutelle pour contracter leurs emprunts.

D’un point de vue pratique, les collectivités étaient également sous la tutelle étroite du pouvoir central en raison du lien quasi-automatique entre l’autorisation et l’octroi d’une subvention spécifique pour assurer le financement de l’investissement envisagé.

D’un point de vue financier, le système se caractérisait par l’existence de ressources privilégiées, destinées au financement de l’investissement local jugé prioritaire, et distribuées par des établissements de crédit spécialisés. Ainsi, les emprunts des collectivités territoriales échappaient presque complètement au marché financier. La Caisse des dépôts et consignations jouait alors le rôle de financeur exclusif du logement social et, plus largement, de financeur quasi-exclusif des investissements des collectivités territoriales.

La loi du 2 mars 1982 a libéralisé le droit d’emprunter pour les collectivités territoriales en supprimant l’ensemble des obligations antérieures. La possibilité d’emprunter, qui ne peut toutefois concerner que la couverture des dépenses d’équipement, est maintenant très souple puisqu’il n’existe plus de régime d’approbation préalable ni de contrôle a priori. Le montant, le taux, l’organisme prêteur sont choisis librement par la collectivité locale et la décision du conseil de la collectivité est exécutoire de plein droit dès publication et transmission au représentant de l’Etat.

Grâce à cette banalisation, les établissements de crédit ont proposé rapidement de nouveaux produits. Les chambres régionales et territoriales des comptes ont ainsi constaté l’apparition dans les comptes des collectivités et établissements publics locaux des emprunts d’un type nouveau, associant dans un même contrat un emprunt bancaire et une clause sous-jacente construite à partir d’un ou plusieurs produits dérivés (contrats d’échange de taux d’intérêt ou options).

Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques datant de juin 2009, la Cour des comptes met l’accent sur l’accroissement sensible de l’encours de la dette : celui-ci aura augmenté de 27,1 milliards € de 2002 à 2008. Cependant, la capacité de désendettement, exprimée en années, n’a que peu évolué : de l’ordre de 2 à 3 ans pour les départements et les régions, de 5 à 8 ans pour les villes, alors que le seuil de surendettement manifeste est conventionnellement fixé à 15 ans.

Au demeurant, la situation financière des collectivités territoriales est plus saine qu’il y a 15 ans : rapportée aux recettes de fonctionnement, la dette équivalait alors à une année de recettes contre environ 8 mois aujourd’hui. Les procédures légales de contrôle budgétaire ont toutefois été plus nombreuses en 2008, concernant les budgets votés en déséquilibre et les comptes administratifs exécutés avec un déficit « important ».

Sur l’emprunt, l’Etat intervient comme assureur de dernier ressort. Il est ainsi difficilement concevable que l’Etat laisse une collectivité territoriale sombrer dans le surendettement au point qu’elle ne puisse plus honorer ses engagements.

Une fois de plus, le même constat s’impose lorsqu’il s’agit de la capacité d’emprunt des collectivités territoriales que lorsqu’il s’agit de fiscalité ou de dotations : la décentralisation ne vaut qu’avec l’appui de l’Etat.

Lever les ambiguïtés de la relation entre l’Etat et les collectivités territoriales

Comme cela vient d’être décrit et analysé, l’Etat joue le rôle majeur dans la décentralisation dès lors qu’il s’agit de finances.

On ne peut conclure sur ce sujet sans mettre en exergue, au risque de se répéter, le rôle ambigu que joue l’Etat dans le vaste théâtre des finances locales. Celui-ci endosse tour à tour la casquette de législateur (en matière de fiscalité), de bailleur de fonds (s’agissant des dispositifs d’exonérations et de dégrèvements), d’assureur en dernier ressort (lorsqu’il s’agit d’amortir les conséquences d’une réforme en matière de réallocation des recettes fiscales entre les collectivités territoriales) et de caution (des collectivités lorsqu’elles décident de recourir à l’emprunt).

Face à l’opacité et à la confusion de compétences et de flux financiers entre les multiples strates d’administration, notamment entre l’Etat et les collectivités territoriales, la question qui doit être posée en matière de finances locales est claire : la décentralisation passe-t-elle par l’autonomie fiscale des collectivités territoriales ou seulement leur autonomie financière ?

La décentralisation est avant tout une décentralisation de gestion des compétences dévolues aux collectivités territoriales. A l’appui de cette décentralisation de gestion, l’autonomie financière des collectivités territoriales en est certes le corollaire indispensable. C’est ce que rappelle la Charte européenne de l’autonomie locale élaborée au sein du conseil de l’Europe qui définit en son article 9 :

Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économie nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l’exercice de leurs compétences.

Mais cette autonomie financière ne doit pas être confondue avec l’autonomie fiscale qui, elle, n’a reçu aucune consécration constitutionnelle. Il convient même de tordre le cou à une idée trop fréquemment défendue par certains élus français : l’autonomie fiscale ne constitue en aucun cas la pierre angulaire de la décentralisation et de la libre administration des collectivités territoriales.

Nous rappellerons dans ce sens la part que constituent les ressources fiscales dans les budgets des collectivités en France et chez son principal partenaire.
Dans un rapport datant d’avril 20002, mais qui conserve toute sa pertinence, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe relevait que les ressources des collectivités territoriales françaises se répartissaient à concurrence de 42% pour la fiscalité propre, 29% pour les transferts, 9% pour les emprunts, 8% pour les redevances et les prix, et 12% de ressources diverses. Ce rapport soulignait que la France se situait ainsi largement au-dessus de la moyenne européenne de la fiscalité propre (25,7%) et largement au-dessous de la moyenne s’agissant des transferts (49%) dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.

Ainsi la place de la fiscalité dans les budgets des collectivités territoriales françaises y est nettement plus élevée que dans d’autres Etats pourtant caractérisés par leur très forte autonomie locale comme, par exemple, l’Allemagne où la fiscalité locale ne représente que 20% du budget des collectivités territoriales.

Cet exemple allemand est des plus significatifs. En effet, il ne viendrait à personne l’idée de soutenir que l’Allemagne n’est pas un pays décentralisée. Et pourtant : les Länder tirent l’essentiel de leurs ressources d’impôts nationaux partagés avec le gouvernement fédéral, sans aucun pouvoir de décision sur le niveau des taux d’imposition.

L’autonomie fiscale des collectivités territoriales n’est donc pas une condition de la décentralisation. L’Allemagne nous en administre la preuve. Ce constat est d’autant plus important qu’en France la fiscalité locale ne pourra pas perdurer très longtemps à l’identique.

Le financement des collectivités locales françaises, en grande partie par les impôts locaux directs, a atteint un tel degré d’iniquité, de complexité et d’inefficacité qu’il n’est plus vraiment envisageable de le réformer à la marge. Et d’ailleurs, aucun gouvernement n’a pris le risque de s’engager dans une telle réforme !

Le principe d’autonomie financière des collectivités territoriales n’est donc en aucun cas un obstacle à une réforme d’ampleur de la fiscalité directe locale. On peut même soutenir l’inverse : plus la part des ressources fiscales sera faible, moins la réforme de la fiscalité locale sera politiquement insurmontable !

En effet, le respect de ce principe n’empêche pas, par exemple, d’effectuer un partage d’impôts nationaux modernes et efficaces entre l’Etat et les collectivités territoriales sans pour autant se cramponner à des impôts locaux dont le caractère obsolète est reconnu de tous. Une telle réforme ne remettrait pas en cause une vision girondine de l’organisation de la République. Elle permettrait au contraire de la consolider en donnant aux collectivités territoriales des ressources plus modernes et moins contestées.

C’est d’ailleurs la direction qui a été prise par le législateur sous l’impulsion du Président de la République (exprimé notamment lors de son discours du 5 février 2009) s’agissant de la réforme de la taxe professionnelle qui constitue indéniablement une réforme majeure du financement des collectivités territoriales. Le chantier n’est toutefois pas achevé : il reste encore beaucoup à faire !


1 Guy Gilbert et Alain Guengant, « Evaluation de la performance péréquatrice des concours financiers de l’Etat aux communes », Economie et statistique, n°373, avril 2005.
2 Rapport de MM. Moreno Bucci et Jean-Claude van Cauwenberghe, 10 mai 2000.
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Romain Grau

Romain Grau est ancien élève de l’Ecole nationale d’administration et diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris. Il a été Commissaire du gouvernement au Tribunal administratif de Versailles avant de […]

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Jean-Paul Alduy

Jean-Paul Alduy est ancien élève de l’Ecole Polytechnique, Ingénieur général des Ponts et Chaussées. Il est également ancien élève de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (section architecture). Sénateur […]