Intégration fiscale horizontale : l’administration fiscale fait de la résistance pour le passé

Dans un arrêt en date du 12 juin 2014 (affaires jointes. C-39/13 à C-41/13, SCA Group Holding BV et autres), la Cour de justice a jugé que l’impossibilité de constituer une « entité fiscale unique » entre des sociétés sœurs néerlandaises détenues par une mère établie dans un autre Etat membre et ne disposant pas aux Pays-Bas d’établissement stable était contraire à la liberté d’établissement.

Afin de mettre en conformité le régime français de l’intégration fiscale avec cette décision, la loi de finances rectificative pour 2014 a autorisé la création d’une intégration fiscale dite « horizontale » entre sociétés sœurs établies en France et détenues à plus de 95% soit directement soit indirectement par une société mère établie dans un autre Etat de l’Union européenne ou de l’Espace Economique Européen, ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales1.

Pour les exercices clos antérieurement à l’entrée en vigueur de la modification législative, aucune précision n’a été fournie par le législateur ou l’Administration fiscale. Les contribuables qui souhaitent bénéficier de l’arrêt de la CJUE du 12 juin 2014 doivent donc obligatoirement déposer une réclamation contentieuse avant le 31 décembre 2016 pour réclamer les impositions acquittées en 2014 au titre des exercices clos le 31 décembre 20132.

Cependant, les derniers développements en la matière laissent penser que l’Administration n’entend pas faciliter la constitution, pour le passé, de groupes fiscaux horizontaux en France. Cette dernière tente en effet d’opposer au contribuable le non-respect des conditions formelles de l’intégration fiscale alors même que ces formalités ne pouvaient être accomplies en raison du caractère restrictif de la législation française antérieure à l’entrée en vigueur de la loi de finances rectificative pour 2014.

Ainsi, on relèvera que le ministre des Finances s’est pourvu en cassation contre l’arrêt Zambon rendu par la CAA de Versailles le 2 décembre 2014 (n°12VE03684) transposant en droit interne la solution rendue par la Cour de justice à propos du régime de groupe néerlandais, au motif que la filiale n’avait pas donné son accord pour faire partie de l’intégration fiscale.

L’argumentation du ministre n’a pas été examinée au fond par le Conseil d’Etat. La Haute Juridiction l’a en effet rejeté pour un motif procédural. Dans la mesure où le moyen du pourvoi n’avait été soulevé ni devant le Tribunal administratif, ni devant la Cour administrative d’appel, celui-ci était nouveau en cassation et partant irrecevable devant le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 30 mars 2016, n°387164).

Une telle argumentation était dans la lignée de celle soutenue, sans résultat, par le ministre devant la CAA de Versailles qui avait fait valoir entre autre que la société Zambon ne pouvait demander l’application du régime de l’intégration fiscale horizontale aux motifs que d’une part, la société mère n’avait pas formellement opté et, d’autre part qu’aucune convention d’intégration n’avait été signée.

En effet, la Cour administrative d’appel de Versailles n’avait pas suivi une telle argumentation et avait jugé que :

« le ministre ne saurait opposer l’absence d’exercice formel d’une option en ce sens et de conclusion d’une convention d’intégration fiscale entre les sociétés ZAMBON FRANCE et ZaCh System, dès lors que, d’une part, ces formalités ne pouvaient, en tout état de cause, être accomplies en raison même du caractère restrictif de la législation française et que, d’autre part, ces difficultés pratiques ne peuvent justifier, à elles seules, l’atteinte portée à une liberté fondamentale protégée par le droit primaire de l’Union européenne3».

Ces conditions de forme sont également demandées par l’administration fiscale dans le cadre du traitement des réclamations contentieuses tendant à obtenir le bénéfice des avantages de l’intégration fiscale horizontale pour le passé.

Sur le fond, de tels moyens ne devraient pas pouvoir s’opposer, à notre sens, à la mise en place pour le passé d’une intégration fiscale horizontale.

En effet, une telle analyse serait manifestement contraire à la jurisprudence de la Cour de justice.

A cet égard, on rappellera que dans sa décision Metallgesellschaft relative au régime de groupe britannique, la Cour de justice a ainsi précisé qu’un Etat membre ne pouvait reprocher aux sociétés concernées de ne pas avoir marqué leur intention d’opter pour le régime de l’imposition de groupe dès lors que si celles-ci avaient demandé à bénéficier de ce régime d’imposition, leur demande aurait été rejetée par l’administration fiscale (CJCE, 8 mars 2001, aff. 397/98 point 1034 ).

La solution retenue dans cet arrêt nous parait parfaitement transposable à la mise en place de l’intégration fiscale horizontale.

Ainsi, les entreprises concernées par une réclamation contentieuse visant à obtenir l’application pour le passé des avantages de l’intégration fiscale horizontale sont fondées à contester sur le fond, les conditions formelles que leur oppose l’administration fiscale.

 


 

1 Pour les exercices clos depuis le 31 décembre 2014, les modalités de mise en place de l’intégration fiscale « horizontale » ont été précisées par l’administration fiscale qui vient de publier ses commentaires définitifs (BOI-IS-GPE-10-30-50 § 40,50, 80, 90 et 120 ; BOI-IS-GPE-10-40, § 343 et 347 ; BOI-IS-GPE-20-20-20-20, § 170 et 200 ; BOI-IS-GPE-40-10, § 40 ; BOI-IS-GPE-50-10-10, § 64 ; BOI-IS-GPE-50-10-20, § 46 ; BOI-IS-AUT-30, § 130).
2 Rapport n°2408 réalisé au nom de la Commission des finances, de l’Economie Générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée Nationale, par Valérie Rabault sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014, p.433.
3 Soulignement ajouté.
4 CJCE, 8 mars 2001, aff. 397/98 point 103 : « Il convient de relever, ensuite, qu’il est constant que, dans les affaires au principal, la législation fiscale du Royaume-Uni refusait clairement aux filiales résidentes de sociétés mères non-résidentes le bénéfice du régime de l’imposition de groupe, en sorte que l’on ne saurait reprocher aux demanderesses au principal de ne pas avoir marqué leur intention d’opter pour le régime de l’imposition de groupe. Selon les ordonnances de renvoi, il n’est pas contesté que, si les demanderesses au principal avaient demandé à bénéficier de ce régime d’imposition, leur demande aurait été rejetée par l’Inspector of Taxes, car les sociétés mères n’étaient pas résidentes au Royaume-Uni. »