Faut-il simplifier les prix de transfert ?

Le but ultime de la règlementation des prix de transfert est d’éviter les conflits de souveraineté nés des doubles impositions. Dans un contexte où le commerce intragroupe représente près de 60 % du commerce mondial (données OCDE) vouloir simplifier ces règles en se passant du principe de pleine concurrence est tentant, mais existe-t-il véritablement des mécanismes réalistes à la fois pour les entreprises et les Etats pour y arriver ?

Les arguments militant pour une simplification pourraient paraitre évidents

Le principe de pleine concurrence implique que les prix de transfert soient déterminés comme si les entités d’un groupe multinational étaient des entreprises indépendantes. Pour beaucoup, outre le fait que ce principe n’est pas assez précis et augmente dès lors la perte de revenus taxables des Etats, la recherche de sociétés comparables pour établir un prix de pleine concurrence est une activité chronophage, rendue difficile par l’absence de bases de données dans certaines parties du monde et par la raréfaction des sociétés comparables au sens de l’OCDE.

Pour cette raison, les solutions alternatives au principe de pleine concurrence ont donc pu être proposées telles que la méthode de la taxation globale ou encore celle de la marge fixe.

Suivant la méthode de la taxation globale, la répartition du revenu global d’un groupe multinational est calculée selon des formules prédéterminées basées par exemple sur une combinaison du chiffre d’affaires, des actifs, des salaires et des autres coûts.

La méthode de la marge fixe, adoptée par le Brésil est quant à elle fondée sur des formules mathématiques et une marge définie par la loi. Si en théorie, les contribuables brésiliens peuvent formuler une demande pour l’application d’un taux différent, depuis l’entrée en vigueur en 1997 de ces nouvelles règles, aucune de ces demandes n’a été acceptée.

Ces méthodes alternatives ont en commun de permettre aux entreprises et aux administrations de s’affranchir de l’analyse fonctionnelle exigée par le principe de pleine concurrence et, de la recherche de transactions comparables indépendantes dont les prix forment la base des revenus déterminés selon le principe de pleine concurrence.

Autrement dit, ces nouvelles méthodes viendraient supprimer toute connexion entre les prix de transfert et les marchés dans lesquels évoluent les entreprises, c’est à dire à marginaliser le commerce intragroupe des échanges mondiaux.

Ce souhait de simplification traduit cependant une méconnaissance profonde de la réalité

Les solutions alternatives au principe de pleine concurrence qui se veulent plus efficacement protectrices de la base taxable des administrations ne sont pas justes, en plus d’être irréalistes.

En effet, l’instauration d’un taux d’imposition unique avec une clé de répartition des recettes fiscales conduira à ce que des administrations soient lésées par rapport à leur situation actuelle.

De plus, s’agissant de la méthode de la répartition globale, elle s’appuie sur le postulat que les administrations fassent preuve d’une grande coopération entre elles afin de s’accorder sur la formule qui déterminera la manière de répartir les revenus taxables. Or une telle coopération est loin d’être acquise, ce qui rend d’ailleurs de facto inapplicable cette méthode. Sans compter, par ailleurs, que la détermination préalable d’une formule permet de connaître à l’avance les gagnants et les perdants.

Ainsi, les solutions alternatives se caractérisent par l’économie d’une réflexion qui participe pourtant de la richesse de la matière des prix de transfert.

Force est donc de constater qu’en dépit de ses imperfections, le principe de pleine concurrence constitue une norme internationale qui attribue aux différentes administrations fiscales une part équitable des revenus taxables des entreprises implantées sur leur territoire.

De plus, ce principe est néanmoins relativement flexible si on se réfère aux mises à jour de 2010 des principes OCDE qui avaient vocation à tenir compte des difficultés rencontrées dans l’application des règles régissant les prix de transfert.

En résumé, il faut garder à l’esprit qu’en matière de prix de transfert, comme dans beaucoup d’autres domaines, trouver une solution simple à un problème complexe est souvent une erreur.

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Jean-Luc Trucchi

Jean-Luc Trucchi, Avocat Associé, intervient depuis plus de 30 ans sur les problématiques Prix de transfert alliant des expertises fiscales et économiques. Jean-Luc assiste régulièrement des groupes internationaux dans la […]