Droit pénal fiscal : Obligation de paiement de l’impôt français et notion d’ES

La Chambre criminelle de la Cour de cassation juge qu’en application de la convention fiscale franco-roumaine une installation fixe d’affaires d’une entreprise de travaux en bâtiment sur le territoire français caractérise un ES français alors même que les chantiers de construction en cause avaient une durée inférieure à celle caractérisant un ES selon la même convention fiscale (i.e. 18 mois).

Rappel du contexte

Aux termes des dispositions de l’article 1741 du CGI, le délit de fraude fiscale vise quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’impôt,

  • soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits 
  • soit qu’il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt 
  • soit qu’il ait organisé son insolvabilité ou fait obstacle par d’autres manœuvres au recouvrement de l’impôt 
  • soit en agissant de toute autre manière frauduleuse

Les peines encourues sont toutefois aggravées en cas de « domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger » en application du 4° de ce même article 1741 du CGI.

Ce délit de fraude fiscale est subordonné à ce que la personne en cause soit tenue au respect d’obligations fiscales en France.

Dans ce cadre, sont imposables à l’impôt sur les sociétés en France, les entreprises exploitées en France (art. 205 et s. du CGI) ainsi que les entreprises dont le siège est situé hors de France, quelle que soit leur nationalité, à raison des profits tirés de leurs exploitations en France (article 209, I du CGI sous réserve du respect des conventions fiscales).

Cette notion « d’entreprise exploitée en France » n’est pas définie par la loi. Il faut à cet égard se référer soit à la jurisprudence, soit à la convention internationale lorsqu’il y en a – c’est-à-dire notamment pour la Chambre criminelle à l’existence d’un « établissement » « permanent et autonome » ou « stable » en France (voir en ce sens Cass. crim., 14 mars 2007, n°06-85.865 ; Cass. crim., 10 septembre 2008, n°07-88.433 ; Cass. crim., 12 nov. 2015, n°14-82.241 ; Cass. crim., 16 nov. 2005, n°04-87.679).

L’affaire

Le camion d’une société française, entreprise de travaux en bâtiment, a été contrôlé avec à son bord cinq ouvriers de nationalité roumaine. Le gérant de la société française a expliqué qu’il s’agissait de salariés d’un de ses sous-traitants, une société roumaine.

Il a ensuite été révélé que l’un des associés de la société roumaine était également associé de la société française et que, selon l’Administration, aucune déclaration fiscale n’avait été déposée en France au titre des activités de cette société roumaine en France.

Sur avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF), l’administration fiscale a dès lors déposé une plainte pour fraude fiscale à l’encontre de la société roumaine et de ses dirigeants, considérant qu’elle disposait d’un ES en France.

A l’issue de l’enquête préliminaire ouverte par le procureur de la République, le gérant de droit de la société roumaine a été poursuivi des chefs de fraude fiscale par omission déclarative frauduleuse concernant la TVA et l’IS et omission d’écriture comptable. Dans la foulée, les 2 gérants de fait de cette société (dont le dirigeant de la société française) ont été poursuivis des mêmes chefs.

La décision de la Chambre criminelle

Pour trancher du litige, la Chambre criminelle de la Cour de cassation distingue les dispositions de l’article 5.1 et de l’article 5.2 g) de la convention fiscale tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune signée entre la France et la Roumanie le 27 septembre 1974.

(i) Article 5.1 de la convention franco-roumaine : l’installation fixe d’affaire

La Chambre criminelle relève que les dispositions de l’article 5.1 de la convention franco-roumaine définissent l’ES comme une installation fixe d’affaires dans laquelle l’entreprise exerce tout ou partie de son activité. Elles ne précisent pas de critère de durée minimum de l’installation pour constituer un ES.

Or, pendant 3 ans, la société roumaine a exercé une activité habituelle sur le territoire français, à savoir des chantiers de construction ou de réhabilitation d’immeubles qui duraient plusieurs mois.

Les juges relèvent d’ailleurs que la personne qui exerçait la double fonction de dirigeant de la société française et gérant de fait de la société roumaine :

  • prospectait la clientèle
  • établissait les devis
  • réalisait les commandes
  • assurait le suivi des chantiers
  • traitait les litiges
  • avait procuration sur le compte bancaire de la société
  • disposait des moyens de paiement
  • s’occupait du logement en France des ouvriers roumains et réglait leurs salaires
  • les transportait quotidiennement sur les chantiers
  • leur fournissait l’outillage et les matériaux nécessaires à l’exécution des chantiers, et
  • envoyait les documents nécessaires à la tenue de la comptabilité

Les juges soulignent de plus que, compte tenu du nombre de ses salariés et de la durée des chantiers, cette société réalisait un volume majoritaire de son activité sur le territoire français, à partir du domicile de ce dirigeant.

De ces éléments, la Cour d’appel a conclu que la société roumaine disposait d’un ES en France au regard de la législation fiscale et de la convention franco-roumaine. La Chambre criminelle confirme cette analyse.

(ii) Article 5.2 g) de la convention franco-roumaine : les chantiers de construction

La Chambre criminelle rappelle qu’il ressort certes de l’article 5.2 g) de la convention franco-roumaine que les chantiers de construction d’une durée inférieure à 18 mois, réalisés par une société roumaine en France, ne peuvent par eux-mêmes constituer un ES y compris si leur durée globale dépasse ce plafond.

Néanmoins, elle souligne que ce texte n’exclut pas qu’une entreprise roumaine qui effectue des chantiers de construction en France soit considérée comme exploitant un ES dans ce pays lorsque l’ensemble de ces activités de construction se développe à partir d’une installation fixe d’affaires qui y est située.

Elle rejette donc les pourvois formés devant elle.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]