Une décision de non-conformité du Conseil constitutionnel ne constitue pas en elle-même un évènement nouveau

Le Conseil d’Etat vient de rendre un avis pour déterminer si une décision de non-conformité rendue par le Conseil constitutionnel à la suite d’une QPC peut constituer un événement susceptible de faire courir un nouveau délai de réclamation.

De nombreux contribuables soutiennent que, dans certains cas, une déclaration d’inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) peut constituer un événement nouveau permettant de réclamer au titre d’années qui seraient prescrites si l’on appliquait les seules règles générales de recevabilité prévues par le livre des procédures fiscales (LPF). L’administration fiscale, de manière constante, refuse de faire droit à cette thèse. Plusieurs centaines de litiges sont donc pendants devant les juridictions.

Le tribunal administratif de Montreuil a ainsi été saisi de requêtes portant, d’une part, sur la cotisation de contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés instituée par l’article 235 ter ZCA du code général des impôts (CGI), dite « taxe de 3 % », à la suite de la décision du 6 octobre 2017 (n° 2017-660 QPC, Société de participations financière)  et, d’autre part, sur la CVAE due par les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré, après la décision du 19 mai 2017 (n° 2017-629 QPC, Société FB Finance).

Par un jugement du 9 octobre 2018, il a saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’avis en vue de savoir si une décision du Conseil constitutionnel constatant la non-conformité à la Constitution d’une disposition législative, rendue à la suite d’une QPC, constitue une décision juridictionnelle mentionnée au troisième alinéa de l’article L. 190 du LPF, insusceptible, à ce titre, de constituer un évènement propre à motiver une réclamation en matière d’impôts directs de nature à faire courir le délai de réclamation.

Statuant dans des délais très rapides, le Conseil d’Etat a rendu, le 11 janvier 2019, un avis commun aux deux affaires (numéros 424819, SCI Maximoise de Création et 424821, SAS Aegir).

Il a répondu à la question inédite posée par le tribunal en précisant que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas au nombre des décisions juridictionnelles ou avis mentionnés aux 3e et 5e alinéas de l’article L. 190 du LPF, pour lesquels les articles R. 196-1 et R. 196-2 du même livre écartent la qualification d’événement constituant le point de départ d’un nouveau délai de réclamation.

La Haute Assemblée, sans reformuler expressément la question, à l’instar de ce que fait régulièrement la CJUE lorsqu’elle est interrogée à titre préjudiciel, a fourni une réponse allant au-delà de ce qui lui était demandé. On pourra se féliciter de cette démarche qui tend à assurer une plus grande sécurité juridique, dans un contexte où les juges du fond apparaissaient divisés.

La problématique plus large sous-jacente à ces affaires consiste, en effet, à déterminer si une décision de non-conformité à la suite d’une QPC peut constituer un événement susceptible de faire courir un nouveau délai de réclamation.

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord sa jurisprudence selon laquelle seuls les événements qui ont une incidence directe sur le principe même de l’imposition, son régime ou son mode de calcul doivent être regardés comme constituant le point de départ du délai de réclamation. Il indique ensuite qu’une décision par laquelle le Conseil constitutionnel, statuant sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, déclare inconstitutionnelle une disposition législative, ne constitue pas en elle-même un tel événement susceptible d’ouvrir un nouveau délai de réclamation.

Conformément aux dispositions de l’article 62 de la Constitution, le Conseil d’Etat précise enfin qu’il appartient au seul Conseil constitutionnel, lorsque, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, il a déclaré contraire à la Constitution la disposition législative ayant fondé l’imposition litigieuse, de prévoir si, et le cas échéant dans quelles conditions, les effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration sont remis en cause, au regard des règles, notamment de recevabilité, applicables à la date de sa décision.

A l’occasion de déclarations de non-conformité en matière fiscale, le Conseil constitutionnel a parfois expressément indiqué que la déclaration d’inconstitutionnalité était applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date, « sous réserve du respect des délais et conditions prévus par le livre des procédures fiscales » (décision n° 2017-629 QPC du 19 mai 2017 relative à la CVAE). Dans d’autres cas, il n’en a pas fait mention dans la décision elle-même, mais la précision figure dans les commentaires aux cahiers (décision n° 2014-413 QPC du 19 septembre 2014, Société PV-CP Distribution, ou encore n° 2012-251 QPC du 8 juin 2012, Copacel et autres). Enfin, il arrive que ni la décision ni les commentaires ne comportent une telle restriction (tel est le cas par exemple pour la décision n° 2017-660 QPC du 6 octobre 2017 relative à la « taxe de 3 % »).

On peut donc légitimement se demander quelle portée accorder aux différences rédactionnelles employées par le Conseil constitutionnel.

Saisis de requêtes à fin de décharge ou de restitution, les juges de l’impôt, en dernier lieu le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation, seront conduits à trancher des litiges dans lesquels il vont devoir interpréter les décisions du Conseil constitutionnel, sans pouvoir interroger ce dernier à titre préjudiciel en cas de doute.

On attendra avec beaucoup d’intérêt la publication des conclusions du rapporteur public pour éclairer l’avis du Conseil d’Etat, puis les jugements qui seront rendus par le tribunal administratif de Montreuil.

Précisons enfin que le Conseil d’Etat a par ailleurs été saisi le 19 novembre 2018 par le tribunal administratif de Dijon de la question de savoir si une décision du Conseil constitutionnel qui énonce une réserve d’interprétation peut être regardée comme un événement, au sens du c) de l’article R. 196-1 du LPF. La réponse, attendue en principe dans les trois mois suivant la saisine, devrait s’inscrire dans le droit fil de l’avis SCI Maximoise de Création et Aegir.

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Sandrine Rudeaux

Sandrine offre à ses clients une expertise incontournable en matière de contentieux fiscal dans un environnement fiscal national et international en profonde mutation. Ancienne magistrate à la Cour administrative d’appel […]