Coronavirus & financement immobilier : comment réagissent les prêteurs et le marché ?

La crise actuelle constitue un test sérieux de la résistance du marché du financement immobilier. Dès lors, on peut formuler l’hypothèse selon laquelle il pourrait être un vecteur d’accélération du changement.

Le marché du financement immobilier s’est, en effet, fortement complexifié dans un environnement incertain. Une plus grande diversité entre les acteurs va probablement être observée en matière d’aversion au risque, de structuration et de conditions financières proposées (levier, taux d’intérêt, durée, etc.).

Quel est l’appétit des banques en cette période d’incertitude ?

La rapidité des mesures de soutien tant monétaires que budgétaires, initiées par les pouvoirs publics, et la réussite apparente du déconfinement ont permis de stabiliser les marchés.

Après l’augmentation à 1350 milliards d’euros de son programme « urgence pandémie » d’achat d’obligations, la BCE a lancé une nouvelle opération de refinancement ciblé à destination des banques. En injectant des liquidités massives sur le marché bancaire avec la quatrième série des opérations de TLTRO (Targeted Longer-Term Refinancing Operations) le 18 juin, la BCE s’est assurée que les établissements bancaires n’hésitent pas à prêter aux entreprises et aux ménages. Les montants en jeu sont de 1308 milliards d’euros de liquidités (un montant record par rapport aux précédentes opérations de la banque centrale). Certains établissements bancaires pourraient utiliser cet argent pour compenser le financement massif des prêts garantis par le gouvernement (PGE), très peu rémunérateurs, qui ont franchi le cap des 100 milliards d’euros en France. Enfin, emprunter à un taux négatif pour prêter à un taux positif, même très faible, devrait permettre de redresser les marges des banques européennes qui seront inéluctablement dégradées par la crise.

Quel éclairage peut-on apporter sur les mesures d’urgences et d’accompagnement ?

Les mesures phares pendant la période de confinement ont été les suivantes :

  • La mise en œuvre d’un dispositif de Prêt garanti par l’Etat (PGE) avec la mobilisation des réseaux bancaires afin de soulager la trésorerie des entreprises. Il s’agit d’une avance de trésorerie sur 12 mois, pouvant représenter jusqu’à 25% du chiffre d’affaires de l’emprunteur, dotée d’une garantie de l’Etat assurant les banques à hauteur de 90%. A l’issue d’une période de 12 mois, il est possible de rééchelonner ces prêts jusqu‘à 5 ans. Ce dispositif est accessible via la plateforme développée par Bpifrance. Le succès de cette mesure doit être soulignée, ainsi que l’adhésion des banques puisque certaines grandes banques françaises ont, en l’espace de 4 mois, réalisé la production de crédits qu’elles font habituellement en un an.
  • Le report des échéances de prêts accordés par Bpifrance de façon automatique, ainsi que par les établissements bancaires sur une période de 3 à 6 mois (capital et intérêts).
  • L’octroi de la garantie Bpifrance pour les prêts de trésorerie accordés par les banques privées françaises.
  • La prolongation des garanties classiques des crédits d’investissement.
  • Le réaménagement sur demande des crédits moyen et long terme avec des maturités plus longues et des différés plus longs.

Il conviendra de noter que si l’emprunteur connaît des difficultés plus importantes, il est recommandé de passer aussi par les procédures du droit des entreprises en difficulté dont certaines sont précisément préventives et protectrices des emprunteurs (le mandat ad hoc), afin de négocier des échéanciers de façon protégée et encadrée.

Quelles sont les attentes des banques en termes de qualité de dossier et de leur capacité d’intervention à plus long terme ?

Depuis le 16 mars 2020, on constate un ralentissement de l’activité et du nombre des dossiers de financement immobilier. C’est la conséquence naturelle d’un attentisme général, expliquant la diminution du volume de transaction et la pause marquée du marché de la dette (hors mesures d’urgence PGE) pendant la période de confinement.

Sans aucun doute reste-t-il de nombreuses questions et incertitudes, notamment sur l’hypothèse d’un éventuel reconfinèrent dont les pouvoirs publics ont bien mesuré les conséquences adverses. En conséquence, le cas par cas demeure, et demeurera la norme.

L’approche des banques, qu’est ce qui a ou va changer ?

Analyse de la contrepartie

La question que se posent les établissements prêteurs est, sans surprise, comment l’emprunteur traverse-t-il la crise liée à la Covid-19 ? Une plus grande attention sera ainsi portée aux cash-flows prévisionnels. Si c’est une « foncière », les questions suivantes vont se poser : est-ce qu’il y a des fonds propres nouveaux dans la structure ? Est- ce que les actionnaires sont en mesure d’en rajouter ? Est- ce que la foncière a consenti à ses locataires des reports de loyers voire des annulations ? Dans ce contexte, les plans de trésorerie sont, plus que jamais, cruciaux. En outre, l’accent sera mis également sur l’analyse du savoir-faire de la contrepartie. Ainsi, des projets dans le secteur de la logistique, portés par des spécialistes ayant le savoir-faire et l’expérience nécessaires, seront plus facilement éligibles à un financement, étant entendu que la logistique relève d’un type d’actif plébiscité par les prêteurs.

Analyse du projet et des flux

Il convient de réaliser une analyse fine de la situation des locataires et un regard attentif sur la structuration des dossiers. C’est-à-dire, se demander comment les locataires vont-ils passer ce cap de la Covid selon les classes d’actif ? L’accent sera mis sur une analyse sectorielle très forte afin de mesurer la solidité du secteur d’activité des locataires. Il est vraisemblable que l’on revienne à des montages dont la structuration est moins agressive ; un niveau de Debt Service Coverage Ratio (DSCR) de 1,1x sur certains dossiers sera moins toléré aujourd’hui. Un DSCR normatif à 1,2x ne permet pas en effet de passer un trimestre sans chiffre d’affaires. Les banques vont surement se diriger vers des ratios et des maturités plus raisonnables au vu des circonstances.

Analyse de la transaction

Qualité des actifs, taux de rendement allons-nous vers une régulation naturelle du marché ? Plus que jamais, les banques vont regarder la qualité de l’actif qu’elles financent. Bien souvent en immobilier, il y a une garantie hypothécaire, ou, dans les cas de crédit-bail notamment, le prêteur est propriétaire du bien financé pour l’emprunteur, mettant le prêteur dans une position juridique « dominante » (droit d’appropriation de l’actif). Des questions afférentes à la qualité de l’actif dans les années à venir et à la capacité des immeubles à répondre aux besoins des entreprises aujourd’hui, vont se poser. Et ceci, nous l’observons avec cette crise et toutes les questions relatives au développement du travail à distance à une échelle jamais connue jusqu’à présent. On peut alors s’interroger sur ce que cela va impliquer comme changements pour les entreprises demain. Qu’en est-il de la capacité des immeubles à se transformer, à être malléables, à répondre aux innovations attendues pour accompagner de nouvelles organisations du travail ? La gouvernance, les normes sociales et environnementales et toutes les démarches pour diminuer l’empreinte carbone des entreprises vont prendre de l’importance dans les mois et les trimestres qui viennent, à l’initiative notamment des prêteurs de plus en plus tenus de respecter des critères RSE.

Quel est l’impact de l’évolution des taux et spread de crédit à court et moyen terme ?

Le paysage des taux d’intérêt a été impacté par la crise sanitaire et ses conséquences économiques. Dans le climat d’incertitude actuel les taux devraient poursuivre leur hausse, en dépit de l’intervention des banques centrales.

Cela se traduit par une hausse du coût de la liquidité et par une hausse du coût du risque pour les banques face aux effets économiques du coronavirus et aux anticipations des défaillances d’entreprises.

Il n’y a toutefois pas d’observation d’une envolée des taux, lesquels demeurent à un niveau relativement bas. Ainsi l’Euribor 3M moyen a atteint son sommet depuis 4 ans en avril dernier mais il demeure en territoire négatif.

Une moindre volatilité des spread de crédit obligataire et des Credit Default Swap (CDS)  a été observée ces dernières semaines, de sorte qu’un regain d’aversion au risque pourrait être nourri par une accélération de l’épidémie aux Etats-Unis, en Amérique Latine et en Asie, ainsi qu’avec la crainte d’une deuxième vague en Chine et en Europe.

Les conditions de financement vont donc se durcir pour les emprunteurs et les marges de crédit devraient être plus élevées par rapport aux conditions antérieures à la Covid-19.

En dépit d’un coût du financement historiquement bas observé en 2019, les prêteurs bancaires traditionnels et les prêteurs non bancaires sont désormais enclins à proposer des pricing sensiblement plus élevés. Les prêteurs répercutent en effet leurs coûts de capital, mécaniquement plus élevés, sur les emprunteurs.

La prime de risque intégrera davantage le risque de contrepartie, le risque de liquidité de l’actif et les risques opérationnels et devrait, selon les estimations consensuelles, augmenter de 20 à 90 bps (point de base) par rapport aux niveaux pré-crise sanitaire, sur le long terme et pour certains prêteurs.

Cécile Debin

Spécialiste en Droit des sociétés et en Fusions-Acquisitions, Cécile accompagne ses clients sur des opérations françaises et internationales tant sur les due diligences à l’achat et à la vente que […]

Hassen Ouartani

Hassen est directeur au sein de la division Financial Advisory de Deloitte et est spécialisé dans le conseil en financement et en levée de fonds dans le secteur de l’immobilier […]