La CJUE précise les conditions de mise en œuvre de la théorie de l’abus de droit et la notion de bénéficiaire effectif

La Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, était saisie de litiges portant sur le régime d’exonération des retenues à la source sur les dividendes (affaires C-116/16 et C-117/16) et sur le régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’Etats membres différents (C-115/16, C-118/16, C-199/16 et C-299/16). Par deux arrêts très attendus du 26 février 2019, la Cour, un an après le prononcé des conclusions de son avocat général, vient de poser des principes clés.

En ce qui concerne l’abus de droit, la Cour rappelle tout d’abord sa jurisprudence constante : le principe selon lequel les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union est un principe général du droit de l’Union. Elle en précise les conséquences s’agissant, d’une part, de l’exonération de la retenue à la source sur les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère, prévue à l’article 5 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 relative au régime mères filiales, modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil du 22 décembre 2003 et, d’autre part, de la directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 relative au régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’Etats membres différents. Elle dit pour droit que, en présence d’une pratique frauduleuse ou abusive, le bénéfice de ces dispositifs doit être refusé à un contribuable par les autorités et les juridictions nationales, et ce même en l’absence de dispositions du droit national ou conventionnel prévoyant un tel refus.

La Cour indique ensuite que la preuve d’une pratique abusive est subordonnée à la réunion de circonstances objectives et d’un élément subjectif. Un ensemble de circonstances objectives doit être apporté pour montrer que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint. En outre, l’élément subjectif à démontrer doit résider dans la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention.

La Cour admet que la réunion d’un certain nombre d’indices puisse attester de l’existence d’un abus de droit, pour autant que ces indices sont objectifs et concordants. Elle fournit ensuite quelques exemples, non exhaustifs. Peuvent constituer de tels indices, notamment, l’existence de sociétés relais n’ayant pas de justification économique ainsi que le caractère purement formel de la structure du groupe de sociétés, du montage financier et des prêts.

Dans l’affaire concernant les dividendes, elle ajoute qu’en vue de refuser de reconnaître à une société la qualité de bénéficiaire effectif de dividendes ou d’établir l’existence d’un abus de droit, une autorité nationale n’est pas tenue d’identifier la ou les entités qu’elle considère comme étant les bénéficiaires effectifs de ces dividendes. Dans le litige relatif aux intérêts, la Cour énonce que la circonstance que l’Etat membre dont proviennent les intérêts a conclu une convention avec l’Etat tiers dans lequel réside la société qui en est le bénéficiaire effectif est sans incidence sur la constatation éventuelle d’un abus de droit.

La Cour précise enfin, dans les deux arrêts, les conséquences de la caractérisation d’un abus ou d’une fraude sur la mise en œuvre des régimes d’exonération de la retenue à la source sur les dividendes ou sur les intérêts. Dans les deux cas, l’application des libertés consacrées par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), notamment la liberté d’établissement et la libre circulation des capitaux, ne saurait être invoquée pour mettre en cause la réglementation du premier Etat membre régissant l’imposition de ces dividendes ou intérêts.

L’avis du praticien

Réunie en grande chambre, sa formation la plus solennelle, la Cour de justice de l’Union européenne vient de rendre deux arrêts qui fournissent de nombreuses clés sur les conditions de mise en œuvre de la théorie de l’abus de droit, et la notion de bénéficiaire effectif.

Ces arrêts interviennent au cours d’une période d’interrogation sur l’articulation des différents dispositifs anti-abus entre eux, où de tels dispositifs se multiplient au sein du droit de l’Union, et où la France vient de se doter d’un arsenal législatif renforcé de lutte contre les abus, en adoptant les dispositions des articles 205 A du CGI et L. 64 A du LPF. Ils effectuent une synthèse très riche de la jurisprudence européenne et font l’effort, très pédagogique, de donner quelques exemples pour illustrer les principes posés (en savoir plus…).

Nous reviendrons prochainement sur la portée de ces arrêts.

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Sandrine Rudeaux

Sandrine offre à ses clients une expertise incontournable en matière de contentieux fiscal dans un environnement fiscal national et international en profonde mutation. Ancienne magistrate à la Cour administrative d’appel […]