CICE et CIR : produits dopants au service de l’emploi !

Les débats actuels sur la fiscalité des entreprises en France sont souvent surprenants, ils ne font pourtant que refléter la difficulté des choix et surtout des réformes fiscales face aux contraintes économiques du moment. Le CICE et CIR font l’objet de beaucoup de commentaires les remettant en cause alors qu’ils sont nécessaires.

Il est vrai que si nombre de pays ont choisi, souvent sur la recommandation d’économistes, de réduire le taux de l’imposition des sociétés, le plus souvent en élargissant la base de cet impôt (amortissements et provisions moins généreux, limites à la déductibilité des intérêts, limites au report ou à la compensation des pertes etc.), d’autres n’ont pas franchi le pas et s’efforcent toujours de maintenir ou d’améliorer la compétitivité fiscale de leurs entreprises par des dispositions spécifiques. Celles-ci sont le plus souvent résumées en l’expression de niches fiscales. La France est dans cette dernière situation et l’écart souvent cité entre le taux nominal et le taux effectif de l’impôt est un reflet direct de ce choix.

Les deux dispositifs fiscaux en faveur des entreprises dont le coût en tant que « niches fiscales » appelle beaucoup de commentaires sont le CICE et le CIR. Dans le budget 2014, ils représentent respectivement 9,76 et 5,8 milliards d’euros sur un total de niches fiscales évalué à 80 milliards d’euros.

C’est beaucoup. Est-ce trop ? En premier lieu, on peut y lire la volonté forte de soutenir et renforcer la compétitivité des entreprises françaises par des aides qui, une fois n’est pas coutume, ont l’immense mérite d’être conformes au cadre européen en matière d’aides publiques aux entreprises. En soi ce n’est pas si fréquent et ce n’est pas rien !

Ensuite, soyons logiques : on ne peut reprocher au CIR la « dérive » de son coût et dire en même temps que l’accroissement des dépenses de recherche qui en résulte est insuffisant. Si les dépenses de R&D s’étaient accrues davantage (pour atteindre par exemple le niveau de 3% du PIB visé dans la stratégie de Lisbonne), le CIR aurait coûté encore plus cher ! Cette vision purement quantitative et limitée au lien CIR-Volume des dépenses de R&D est tout à la fois insuffisante, peu utile, voire dangereuse. Il est indéniable que le CIR doit faire l’objet d’évaluations plus sophistiquées, que son impact doit être mieux mesuré et que les instruments à cette fin manquent aujourd’hui, pour autant certaines informations montrent bien qu’il faut aller bien au-delà des réflexions courantes.

Ainsi, la France, même si son classement (20e) est plutôt médiocre en termes de nombre de brevets déposés annuellement, se classe 3e au « Top Global Innovators » avec 12 entreprises dans les 100 premières, après les Etats-Unis et le Japon. Ce classement réalisé par un cabinet américain depuis plusieurs années (Thomson Reuters) évalue la valeur de l’innovation notamment par la portée internationale des brevets et leur influence, de façon plus synthétique, leur capacité à générer des résultats en termes de produits, de procédés ou de services, donc de l’emploi au-delà de celui des chercheurs. L’étude salue également la politique française en matière d’innovation et notamment le crédit d’impôt recherche : « les trois pays les mieux placés sont ceux dans lesquels les gouvernements ont, de longue date, choisi de stimuler l’innovation, notamment à travers des baisses d’impôt. » Certes, la mesure de l’efficacité d’un dispositif est indispensable, mais il ne faut pas se tromper de thermomètre…

De la même façon, même s’il est indéniable que les très grandes entreprises reçoivent une partie appréciable du budget du CIR, celui-ci revêt une importance croissante pour les PME qui en nombre sont très largement bénéficiaires (plus de 76% des déclarants en 2011 étaient des PME indépendantes qui recevaient 25% du montant total du CIR pour une part de dépenses de R&D inférieure à 20%) et le manifestent dans toutes leurs prises de position. L’amélioration de l’offre et de l’emploi en France reposent sur notre capacité à faire émerger les PME et à les faire évoluer, ce qui dépend de façon cruciale de leur capacité de recherche et d’innovation.

Par ailleurs, on ne peut négliger le fait que depuis 2008 et le passage d’un régime fondé sur l’accroissement des dépenses de recherche à un régime fondé sur le volume total de celles-ci, le CIR constitue une incitation fiscale visant à attirer les investissements étrangers (et ses effets à cet égard sont jugés significatifs) ainsi qu’à éviter que des entreprises françaises ne se délocalisent.

Enfin, CICE et CIR ne sont ni concurrents, ni des cadeaux aux entreprises : il s’agit d’aides qui se complètent (en ce sens qu’elles reposent sur des critères différents et complémentaires) et qui s’attaquent dans l’immédiat et directement à deux des points faibles de l’économie française : le coût du travail et le besoin de développer la R&D au service de l’innovation. Pour ces aides qui doivent concourir à développer l’emploi, la stabilité est indispensable, elle fait partie du climat de confiance qui est l’un des déterminants de l’investissement des entreprises.

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Michel Aujean

Michel Aujean, ancien directeur des analyses et politiques fiscales à la Commission européenne, a été associé au sein du cabinet Deloitte Société d’Avocats en charge du pôle Prospective fiscale et […]