Cession de titres à prix minoré et preuve de l’existence d’un avantage occulte

La CAA de Nancy rappelle les conditions de requalification en avantage occulte de l’avantage octroyé en cas de vente à prix minoré de titres de sociétés non cotées.

Rappel

Peut être requalifié en avantage occulte constitutif d’une distribution de bénéfices au sens des dispositions du c de l’article 111 du CGI, l’avantage octroyé en cas de vente à prix minoré, lorsque l’écart constaté ne comporte pas de contrepartie. L’inscription en comptabilité ne suffit pas à écarter une telle qualification, si elle ne révèle pas, par elle-même, la libéralité (CE, 28 février 2001, n°199295, Thérond, 7 septembre 2009, n°309786, Simon-Bigard).

Dans cette hypothèse, il appartient à l’Administration d’établir l’existence, d’une part, d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien et, d’autre part, de l’intention d’octroyer une libéralité et, pour le bénéficiaire, de la recevoir. Selon une jurisprudence ancienne, l’intention libérale peut être présumée en présence d’une relation d’intérêts.

L’histoire

Le 23 février 2010, un contribuable a acquis, au prix unitaire de 22,72 €, 1 402 actions du capital de la société dont il était cadre dirigeant auprès d’une société actionnaire. Ces 1 402 actions représentant environ 20 % du capital de la société dont le contribuable détenait déjà plus de 10 %.

Dix mois plus tard, les actionnaires détenant les 70 % restant ont cédé leurs titres à un tiers, à un prix unitaire de 108,5 €.

L’Administration s’est émue de la discordance entre ces 2 prix de cession, à quelques mois d’intervalle.

Considérant que le prix de la 1re cession avait été sous-évalué, elle a arrêté la valeur vénale de chaque action à 99,5 € et réintégré dans le bénéfice imposable de la société cédante le montant de la minoration estimée du prix de vente ainsi déterminé.

Elle a, par ailleurs, estimé que le contribuable personne physique a bénéficié, pour ce même montant, d’une libéralité taxable comme une rémunération occulte sur le fondement des dispositions du c de l’article 111 du CGI.

La décision de la CAA de Nancy

La CAA de Nancy se prononce d’abord sur la reconstitution de la valeur vénale des actions cédées, avant de reconnaître l’existence d’une libéralité.

Reconstitution de la valeur vénale des actions

La Cour rappelle, en 1er lieu, que la valeur vénale des actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte-tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession ou l’apport est intervenu.

Cette valeur doit être établie prioritairement par comparaison avec des transactions contemporaines portant sur des titres de la société ou de sociétés similaires ; à défaut de l’existence d’un tel comparable, l’Administration peut se fonder sur l’une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l’actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes (notamment CE, 21 octobre 2016, n°390421).

En l’espèce, l’Administration s’est fondée sur une méthode d’évaluation ayant consisté à additionner la valeur mathématique, la survaleur (« goodwil ») et le double de la valeur de productivité et à diviser le résultat obtenu par 4.

Le contribuable, sans contester les modalités de calcul retenues par l’Administration, soulignait qu’il existait pourtant des transactions comparables à celle en litige, à savoir une cession de 7 500 actions de la société (10,05 % de son capital) intervenue en janvier 2008, pour un prix unitaire de 30 €, et une cession de 300 actions de la même société, effectuée en février 2010, pour le même prix.

La Cour juge toutefois que la 1re cession (janvier 2008) ne peut servir de terme de comparaison, étant antérieure de 2 ans à celle en litige et n’ayant pas été effectuée dans un contexte économique équivalent.

La 2de cession (février 2010), si elle est contemporaine à la cession en litige, ne porte que sur une très faible quotité du capital de la société (0,4 %) et est donc, également, dépourvue de caractère pertinent (en ce sens aussi CE, 6 juin 1984, n°35415 et 36733, plus récemment CE, 9 mai 2018, n°387071, Sté Cérès).

Par ailleurs, elle relève qu’en janvier 2009, les actionnaires de la société avaient confié à un cabinet extérieur un mandat de recherche exclusive pour celle-ci, à un prix ne devant pas être inférieur à 99,85 € par action. Enfin, elle rappelle que les actions ont finalement été vendues fin décembre 2010 pour une valeur unitaire de 108,5 €, après le refus, un mois avant, par les actionnaires, d’une offre d’achat à 106,5 € par action.

Dès lors, l’Administration doit être regardée comme établissant que les actions de la société pouvaient être évaluées à 99,5 € par unité à la date du 23 février 2010.

L’existence d’une libéralité

Pour justifier l’existence de contreparties, le contribuable faisait valoir que son frère – également acquéreur – avait un rôle d’ « homme clé » au sein de la société et qu’il était dans l’intérêt de la société cédante de le « fidéliser » en lui ouvrant le capital de la société. La Cour considère toutefois que cette circonstance ne justifie pas la cession d’une quote-part importante du capital de la société, pour un prix très bas, à ces deux personnes.

Enfin, la Cour juge que compte-tenu du contexte général et de la qualité de cadre dirigeant du contribuable de la société, l’intention libérale est établie. En filigrane, elle nous semble ici reconnaître l’existence d’une relation d’intérêt entre le contribuable et la société cédante, permettant, on le rappelle, de présumer l’existence d’une intention libérale.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.