Quel avenir pour les rulings à la suite de l’offensive de la Commission européenne ?

A l’heure des révélations des « Paradise Papers » sur de nombreux schémas fiscaux impliquant de grands groupes internationaux, il est intéressant de revenir sur l’activisme de la Commission européenne, qui mène depuis 2014 une campagne contre les rulings en matière de Prix de transfert qu’elle juge abusifs, en les qualifiant d’aides d’Etat illégales. En France, ces rulings pourraient être rapprochés des Accords Préalables en matière de prix de transfert (APP) signés par la DGFiP, même si aucun d’entre eux n’a jusqu’à présent été remis en cause par la Commission européenne.

En 2016, la Commission européenne a notamment qualifié d’aide d’Etat le ruling signé entre Apple et l’Irlande exigeant le remboursement de 13 milliards d’euros par Apple. De la même façon, Amazon et Starbucks doivent respectivement rembourser environ 250 millions d’euros à l’Etat luxembourgeois et 25 millions d’euros à l’Etat néerlandais.

Les décisions de la Commission européenne visent officiellement les Etats, qui sont accusés d’avoir accordé des avantages fiscaux illégaux au regard du droit européen. Cependant, ce sont bien les contribuables qui in fine en subissent les conséquences financières. Celles-ci sont particulièrement lourdes : d’une part, la prescription en matière d’aide d’Etat est de dix ans, contre trois ans en France en matière de contrôle fiscal ; d’autre part, les entreprises subissent une double peine puisque, contrairement à un redressement fiscal, le remboursement d’une aide d’Etat n’est pas considéré comme un impôt supplémentaire et ne peut donc pas donner lieu à l’élimination d’une double imposition.

Le droit européen reconnait quatre critères afin de qualifier une mesure d’aide d’Etat :

  • L’origine Etatique de la mesure 
  • Le fait qu’elle affecte les échanges au sein du marché unique européen 
  • Le fait qu’elle octroie un avantage que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pu obtenir dans des conditions normales de marché 
  • Et le fait que cet avantage soit « sélectif », c’est-à-dire qu’il ne favorise que certaines entreprises et en exclut d’autres, alors même que les bénéficiaires et les entreprises exclues de la mesure se trouvent dans une situation factuelle et juridique similaire

Dans le cas des aides d’Etat fiscales, les trois premiers critères sont présumés par la Commission européenne. C’est donc sur le critère de sélectivité que les enquêtes portant sur les rulings se jouent.

A cet égard, la logique adoptée par la Commission européenne consiste à considérer qu’il y a sélectivité dès lors qu’un ruling valide une politique de prix de transfert qui déroge au principe de pleine concurrence.

L’approche de la Commission repose donc de manière cruciale sur son analyse technique de la conformité au principe de pleine concurrence des politiques de prix de transfert validées par les rulings. C’est précisément sur ce point que des doutes peuvent être légitimement émis. Faute d’une expérience significative en matière de prix de transfert, la Commission applique une grille d’analyse très personnelle aux prix de transfert et considère par exemple que des politiques souvent admises par les administrations fiscales (des redevances aux taux variables) sont non conformes au principe de pleine concurrence.

De même, la méthode CUP (Comparable Uncontrolled Price) est systématiquement privilégiée, au point où l’usage d’une autre méthode de prix de transfert peut être considéré comme une preuve de la sélectivité du ruling. Pourtant, comme chaque praticien des prix de transfert le sait, la méthode CUP est devenue bien rare, y compris pour les administrations fiscales, pour des raisons d’ordre méthodologiques et pratiques (disponibilité des données, comparabilité des transactions et pertinence d’éventuels ajustements, etc.).

Alors que les cas d’aides d’Etat se multiplient, les critères d’analyse de la Commission européenne sont toujours très peu clairs.

 

Le comportement de la Commission, s’il se confirme dans les mois et années à venir, risque de remettre sérieusement en question l’utilité des rulings et peut être des APP unilatéraux, qui est de garantir au contribuable une certaine sécurité juridique.

En effet, dans le cas de deux contribuables ayant mis en œuvre exactement le même modèle de prix de transfert au niveau européen, l’un ayant obtenu un ruling ou signé un APP unilatéral, l’autre non : seul le premier subira le risque de voir son ruling/APP unilatéral qualifié d’aide d’Etat par la Commission.

Les contribuables devront donc se poser cette question : est-il plus risqué d’obtenir un ruling ou de signer un APP unilatéral qui risque d’être qualifié d’aide d’Etat ou de ne pas le faire et d’attendre un contrôle fiscal pour tenter de défendre ses positions ?

Dans un monde post BEPS où l’incertitude fiscale ne cesse d’augmenter, il semble que l’action de la Commission conduise à encore plus d’insécurité pour les entreprises.

Julien Pellefigue

Avocat associé, Julien est membre de l’équipe prix de transfert du cabinet. Sa pratique recouvre l’ensemble des problématiques des prix de transfert, en conseil comme en contentieux. En raison de […]

Thomas Pautrat

Thomas est associé au sein du cabinet Deloitte Société d’Avocats, avec plus de 11 ans d’expérience en prix de transfert. Thomas conseille ses clients dans tous les domaines des prix […]