Les autres taxes sur la production : de lourdes charges pourtant peu analysées !

La compétitivité de la France, sa relation avec le coût du travail et la politique fiscale sont autant de sujets sur lesquels le Pôle de prospective fiscale a pu contribuer à alimenter les débats au cours de ces années de crise1. Sans en faire la seule grille d’analyse, la comparaison internationale de la structure des prélèvements obligatoires est très instructive lorsque l’on cherche à mieux comprendre la nature de la politique fiscale conduite par les États et son efficacité relative, et plus particulièrement sa relation avec la performance économique. En ce sens, la publication par la Commission européenne des données 20102, derniers comptes nationaux disponibles, est riche d’enseignements et c’est l’occasion de mettre en évidence certains éléments qui n’ont pas toujours reçu suffisamment d’attention. C’est d’ailleurs ce qui faisait une grande partie de l’intérêt du travail conduit par la Cour des Comptes dans son analyse comparative des prélèvements en France et en Allemagne3.

Le tableau ci-après offre un résumé très synthétique des situations relatives de la France, de l’Allemagne et de l’Union européenne à 27 (% du PIB en moyenne pondérée).

Les autres taxes sur la production : de lourdes charges pourtant peu analysées ! - Schéma 1

En première lecture, on pourrait avoir l’impression que la France a bien mis en œuvre la recommandation de l’OCDE sur la relation fiscalité-croissance. En effet, les taxes qui affectent le moins la croissance économique sont, selon l’OCDE, dans l’ordre : les taxes récurrentes sur la propriété immobilière (taxes foncières) puis les taxes indirectes sur la consommation (TVA, accises) puis l’IRPP et enfin l’impôt sur les sociétés. La France ne semble pas mal placée à cet égard.

En fait on s’aperçoit très vite que si les taxes indirectes sont en France parmi les plus élevées de l’Union européenne, c’est principalement du fait des autres taxes (indirectes pesant) sur la production et non pas du fait du poids des taxes à la consommation. Ces dernières sont en fait dans la moyenne européenne s’agissant de la TVA (jugée toutefois peu efficace selon les critères OCDE du fait de la multiplicité des taux réduits), quant aux droits d’accises et autres taxes à la consommation elles sont parmi les plus faibles de l’Union européenne (la France occupe la 26e place !).

Ce sont donc les « autres taxes indirectes sur la production » qui font de la France un pays à forte fiscalité indirecte : celles-ci représentaient 4,2 % du PIB en 2010 (4,6% en 2009, plus haut niveau des années 2000) à comparer à une moyenne européenne de 2% et à 0,6% en Allemagne (soit un écart de 66 milliards d’euros !). C’est un constat beaucoup plus inquiétant pour les entreprises qui se trouvent souvent être le redevable de la grande majorité de ces taxes dont le poids est finalement beaucoup plus considérable que celui de l’impôt sur les sociétés. Ce phénomène était déjà souligné dans le rapport de la Cour des comptes mentionné ci-avant.

Bien sûr il nous faut aller plus loin et analyser le détail de ces taxes, dont la composition est très hétérogène, ce que permet le tableau suivant produit par Eurostat qui détaille le poste D29 : « Autres taxes sur la production ».

Les autres taxes sur la production : de lourdes charges pourtant peu analysées ! - Schéma 2

Comme tout classement statistique, le classement opéré par Eurostat comporte des choix qui sont discutables notamment en ce qu’ils affectent le raisonnement d’ensemble. Ainsi en est-il du classement des taxes foncières en taxes indirectes pesant sur la production. Il n’en reste pas moins que, même en écartant les taxes foncières de l’analyse, le nombre et le poids des taxes qui constituent des charges pour les entreprises et affectent directement leur rentabilité est impressionnant et contribue à expliquer la faiblesse des marges des entreprises françaises. C’est environ 52 milliards d’euros, soit plus de 2,7% du PIB qui sont prélevés à travers principalement : la CFE et CVAE, l’imposition des entreprises de réseaux, les taxes sur les salaires, le versement transports et la C3S. On est en face de montants qui dépassent très largement les transferts de charges sociales envisagés dans le rapport Gallois et qui ne semblent pas avoir été l’objet d’analyses approfondies dans le constat des charges pesant aujourd’hui sur les entreprises françaises ! Or sur l’ensemble de ces six principaux prélèvements, la France n’est pas bridée par des règles/disciplines communautaires contrairement aux droits d’accises ou aux droits à l’importation. Elle dispose donc seule du pouvoir de décision sur l’avenir de ces prélèvements.

 


 

2 Taxation trends in the European Union, Eurostat, 2012 edition – European Commission
3 Rapport public thématique : Les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne – Cour des comptes – Mars 2011.
Photo de Michel Aujean
Michel Aujean

Michel Aujean, ancien directeur des analyses et politiques fiscales à la Commission européenne, a été associé au sein du cabinet Deloitte Société d’Avocats en charge du pôle Prospective fiscale et […]