Apport d’actif à prix minoré : Prise en compte de l’impact de circonstances de fait sur la valorisation de l’apport

Le Conseil d’État juge qu’afin de déterminer si un apport d’actif immobilisé à prix minoré constitue une libéralité, il est nécessaire de prendre en compte les circonstances de fait susceptibles d’avoir une incidence sur la valorisation des titres apportés.

On sait que dans le cas où le prix de l’acquisition d’une immobilisation a été volontairement minoré par les parties pour dissimuler une libéralité faite par le vendeur à l’acquéreur, l’Administration est fondée à corriger la valeur d’origine de l’immobilisation, comptabilisée par l’entreprise acquéreuse pour son prix d’acquisition, pour y substituer sa valeur vénale, augmentant ainsi son actif net dans la mesure de l’acquisition faite à titre gratuit (CE, 5 janvier 2005, n°254556, Sté Raffypack).

Le Conseil d’État a ensuite transposé cette jurisprudence à une opération d’apport de titres à une valeur délibérément minorée (CE, 9 mai 2018, n°387071, Sté Cérès, et CE, 26 juillet 2018, n°410166, SAS Société Nouvelle Cap Management SNCM). Il a ainsi jugé que l’Administration était en droit de corriger la valeur d’inscription des titres apportés et de rehausser le bénéfice imposable de la bénéficiaire à hauteur de la libéralité correspondant à l’écart entre la valeur comptable et la valeur réelle desdites actions.

Encore faut-il que l’Administration apporte la preuve de l’existence d’une telle libéralité. Elle doit, pour ce faire, établir l’existence, d’une part, d’un écart – sans contrepartie – significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien et, d’autre part, de l’intention d’octroyer une libéralité et, pour le bénéficiaire, de la recevoir. On retiendra que la jurisprudence présume l’intention libérale en présence d’une relation d’intérêts entre les parties.

L’histoire

La société SNCM a été constituée pour devenir la holding de reprise de la société Cap Management dont le capital était réparti entre deux associés, A et B, et permettre le rachat des parts de ce dernier, dans le cadre d’un conflit entre associé.

Un accord a été conclu prévoyant :

  • L’apport à la holding par A de ses parts dans la société Cap Management pour une valeur de 500 k€
  • L’entrée de 2 nouveaux investisseurs apportant chacun 500 k€ (l’idée étant d’avoir une répartition entre les actionnaires à hauteur du tiers du capital chacun)
  • La cession par B (associé sortant de la société Cap Management) à la holding de ses parts dans la société Cap Management pour un prix de près de 1,4 m€, assorti d’un complément de prix de 500 k€.

L’Administration s’est émue de la discordance entre la valeur d’apport des titres de la société par A et le coût d’acquisition des parts détenues par B (rapport pratiquement du simple au quadruple). Elle a donc considéré que la valeur d’apport des titres détenus par A avait été minorée de cette différence.

La décision

Le Conseil d’État est amené à se prononcer pour la 2de fois sur cette affaire, après une 1re cassation, les juges du fond ayant alors insuffisamment caractérisé l’intention libérale (CE, 26 juillet 2018, n°410166, SAS Société Nouvelle Cap Management SNCM).

Il annule, une nouvelle fois, la décision de la CAA de Versailles, considérant que celle ci (1) avait improprement reconstitué la valeur vénale du bien apporté et (2) n’établissait pas l’intention libérale.

1. Reconstitution de la valeur vénale des actions apportées

Le Conseil d’État rappelle, en 1er lieu, que la valeur vénale des actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte-tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession ou l’apport est intervenu.

Cette valeur doit être établie prioritairement par comparaison avec des transactions contemporaines portant sur des titres de la société ou de sociétés similaires ; à défaut de l’existence d’un tel comparable, l’Administration peut se fonder sur l’une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l’actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes.

Jugeant au fond, le Conseil d’État va lui-même se livrer à ce travail de reconstitution. Il souligne en 1er lieu que, pour obtenir l’intégralité du contrôle de la société Cap Management, la holding de reprise a valorisé les titres pour un montant global (correspondant à la valeur des apports de A + prix d’acquisition versé à B), inégalement réparti entre ses 2 associés d’origine.

Cette prise de contrôle a été rendue possible grâce aux apports des 2 nouveaux actionnaires (jusqu’alors extérieurs au groupe), qui ont ainsi manifesté leur accord sur la valorisation de la société Cap Management.

Dès lors, le Conseil d’État juge que la valorisation globale retenue par la société, seule significative pour ces apporteurs de capitaux, indépendamment de sa répartition en 2 parts inégales est aussi voisine que possible de celle qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où l’apport est intervenu.

Aussi, si l’Administration était fondée à considérer qu’il existait un écart significatif entre la valeur d’apport des titres de A et la valeur vénale de ces titres représentant la moitié du capital social, celle-ci doit néanmoins être établie à hauteur de la différence entre cette valeur d’apport et la moitié des rémunérations exposés par les associés de la SNCM pour obtenir l’entier contrôle de la société Cap Management.

2. Intention libérale

L’apporteur A était également le dirigeant de la holding bénéficiaire des apports, ce qui suffit à caractériser une relation d’intérêts, de sorte que l’Administration a pu faire jouer la présomption d’une intention libérale.

Toutefois, le Conseil d’État considère que l’apporteur combat cette présomption avec succès, en faisant valoir que la minoration de cet apport s’inscrivait dans le cadre d’une restructuration, permettant d’organiser le départ rapide du capital et de la gouvernance de la société acquise de son associé B, avec lequel d’importantes dissensions existaient et de garantir la stabilité du groupe.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]