Affectation d’une fraction du mali technique de fusion à des actifs situés à l’étranger

L’affectation au bilan d’une succursale étrangère du mali technique constaté à la suite d’une TUP doit être assimilée à une cession. Dans la mesure où les fonds de commerce sur lesquels porte le mali technique n’étaient pas rattachés à un ES (établissement stable) situé à l’étranger préalablement à l’opération de TUP, la plus value correspondante doit être imposée en France.

En janvier 2008, une société française procède à l’acquisition auprès d’un groupe néerlandais de la totalité du capital d’une société française exploitant notamment des fonds de commerce de vente de produits à l’étranger dont certains aux États Unis. Quelques mois après cette acquisition, la société procède à la TUP de cette filiale française dans le cadre du régime fiscal de faveur de l’article 210-A du CGI et constate à ce titre un mali technique. Ce mali technique est affecté pour partie aux marques détenues par la société et pour partie aux fonds de commerce exploités. Plus précisément, la société affecte comptablement une fraction de ce mali technique au bilan de la succursale américaine qu’elle avait créée préalablement à l’acquisition de la société confondante.

À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale réhausse le résultat imposable 2008 de la société confondante à hauteur du mali technique affecté comptablement au bilan de la succursale américaine. Pour rappel, le mali technique est représentatif des plus-values latentes sur les actifs de la société confondue/absorbée et non constatées dans son actif net tel que reçu par la société confondante/absorbante.

Selon l’Administration, l’activité de vente de produits sur le sol américain était en réalité exercée, préalablement à la TUP, par des sociétés américaines qui exploitaient les fonds de commerce détenus par la société française avec leurs propres moyens matériels (locaux, outillage et équipement). Les fonds de commerce relatifs à l’activité de la filiale aux États-Unis étaient restés jusque-là compris dans le fonds universel et indivis de cette société et la société française n’avait jamais déclaré d’ES aux États-Unis.

Dans ce contexte, l’affectation comptable des fonds de commerce américains à l’issue de la TUP par la société confondante au bilan de sa succursale américaine doit être analysée comme une opération de cession des fonds de commerce au sens, et pour l’application, des articles 38 et 210-A du CGI.

En l’absence d’ES préalable à la cession en litige, la taxation de la plus-value correspondante doit être rattachée à la France par application de l’article 7 de la convention fiscale franco-américaine.

Le TA de Montreuil suivi par la CAA de Versailles confirme la position de l’Administration.

Selon la CAA de Versailles, l’affectation du mali technique de fusion au bilan de la succursale étrangère de la société confondante doit être regardée comme une cession au sens de l’article 38, 1 du CGI. Or, en application des articles 209-I du CGI et 7 de la convention fiscale franco-américaine, le profit correspondant à cette cession est imposable en France dès lors que les fonds de commerce sur lesquels porte le mali technique n’étaient pas rattachés, antérieurement à la TUP, à un ES situé à l’étranger.

La société revendiquait l’existence d’un ES américain de la société confondue préalablement à la TUP en se prévalant de la jurisprudence selon laquelle le propriétaire d’un fonds de commerce, qui après l’avoir exploité personnellement le donne en location-gérance, doit être regardé eu égard à la nature de ce contrat comme poursuivant sous une autre forme l’exercice de son activité professionnelle antérieure (CE sect. 28-7-1993 n°70812, CE 17-10-2007 n°276539). À l’appui de sa thèse, la requérante utilisait également une décision de 1972 (9e et 7e ssr, 8 mars 1972, n°81907, Min. des finances c/ Dame Veuve Max Gottschalk) pour considérer que le bailleur d’un fonds de commerce disposerait par définition d’un ES.

Tout l’enjeu pour la société consistait à établir qu’il ne pouvait y avoir de transfert d’actif taxable en France entre la société confondante et l’ES américain qu’elle avait créé avant la TUP. En effet, selon l’argumentaire de cette dernière, les fonds de commerce transférés étaient déjà à l’actif d’un ES américain de la société confondue et ces fonds n’ont fait que migrer d’un ES à un autre ES, sans transiter à aucun moment par la France.

Toutefois cette jurisprudence qui ne permet pas de caractériser l’existence d’une entreprise exploitée en France n’a pas convaincue les juges.

À son tour, le Conseil d’État confirme cette interprétation extensive de la notion de cession et considère qu’il ressort des dispositions des articles 38 et 209 du CGI, que lorsqu’une société établie en France inscrit au bilan fiscal d’une succursale établie à l’étranger un élément d’actif jusqu’alors affecté à ses exploitations françaises, l’opération produit les effets d’une cession d’élément d’actif pour l’établissement de son résultat imposable à l’IS en France. Par principe, le gain de cession n’est pas imposable en France que s’il se rattache à une entreprise exploitée à l’étranger. Or, en l’espèce, la société mère confondante ne justifie pas, au regard des dispositions de l’article 209 du CGI et des articles 5 et 7 la convention fiscale franco-américaine, que les fonds de commerce se rattachaient à un ES existant aux États-Unis antérieurement à l’opération TUP.

Le siège et la succursale appartiennent à la même personne morale, les succursales étrangères sont regardées comme dotées d’une personnalité fiscale propre eu égard au principe de territorialité de l’impôt (CE plén. 25-10-1972 n°81999 ; CE 14-11-1984 n°40368, SARL Sotradiès). Ainsi, le traitement fiscal retenu dans le cas d’une société française qui créée une succursale à l’étranger et qui lui transfère des immobilisations porteuses de plus-values latentes inscrites à son bilan s’inscrit donc dans ce concept. Cependant, dès lors que le mali technique est élément d’actif sans valeur de marché, l’assimilation n’était pas nécessairement évidente au cas présent.

Par ailleurs, le Conseil d’État souligne que la plus-value imposable avait à bon droit été évaluée par l’Administration en considération du montant retenu par la société dans le cadre de son affectation comptable.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]