Affaire Société Croë Suisse : Substitution de base légale

Statuant sur renvoi après cassation, la CAA de Versailles accueille la substitution de base légale demandée par l’Administration dans la désormais célèbre affaire « Société Croë Suisse » avant de censurer son analyse.

L’histoire

La société Croë Suisse avait cédé à une personne physique, résidente fiscal russe, les titres de sa filiale française (la société Croë France), dont l’actif était constitué pour l’essentiel par un château situé à Antibes. La plus-value de cession avait été imposée en France par application des dispositions de l’article 244 bis A du CGI. À l’issue d’une vérification de comptabilité de la société Croë France, l’Administration a toutefois remis en cause, sur le terrain de l’acte anormal de gestion, l’écart entre le prix de cession (6 m€) et la valeur réelle des titres (46 m€).

Des précisions d’importance apportées par le Conseil d’État…

Pour mémoire, l’acte anormal de gestion est constitué par l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.

Il est de jurisprudence constante depuis une décision « SA Renfort Service » du Conseil d’État (CE, 27 juillet 1984, n° 34588) que la charge de la démonstration de l’acte anormal de gestion repose sur l’Administration. Celle-ci doit établir 2 éléments distincts : l’appauvrissement objectif de l’entreprise et l’intention que cette dernière a eu d’agir contre son intérêt.

Cependant, le Conseil d’État avait dégagé 2 cas de dispense pour l’Administration de prouver l’intention :

Par sa décision rendue dans l’affaire Société Croë Suisse (21 décembre n° 402006, Sté Croë Suisse, rapidement confirmée à plusieurs reprises, notamment CE, 6 février 2019, n° 410248, SARL Alternance et 15 février 2019, n° 407531, SARL Hulia), le Conseil d’État a apporté les 2 précisions importantes suivantes :

  • la cession d’un actif immobilisé à prix manifestement minoré doit être rattachée à la catégorie des actes de nature si anormale que l’Administration n’a pas besoin de prouver l’intentionnalité de l’entreprise 
  • dans ces cas de présomption de l’intention, c’est au contribuable de justifier l’opération

Toutefois, il a cassé la décision des juges du fond pour erreur de droit, et renvoyé l’affaire à la CAA de Versailles.

… Une substitution de base légale devant la Cour de renvoi

Alors même que la décision du Conseil d’État allégeait la charge de la preuve reposant sur l’Administration, celle-ci a sollicité une substitution de base légale. Renonçant à se placer sur le terrain de l’acte anormal de gestion, elle s’est fondée sur les articles 206, 209 et 219 du CGI pour contester la valeur de cession des titres retenue.

L’Administration faisait valoir, à cet égard, que le prix de cession des titres tel que convenu dans l’acte de cession devait être majoré de l’engagement pris par l’acquéreur et tendant à rembourser la dette contractée par la société Croë France à l’égard de la société Croë Suisse par augmentation du capital en numéraire de la société dont les titres étaient cédés.

En effet, l’acquéreur avait pris l’engagement dans le contrat de cession de prendre à sa charge à hauteur de près de 35 m€, le règlement de la créance détenue par la société Croë Suisse sur la société Croë France dans le cadre d’une augmentation en numéraire du capital de cette dernière, à laquelle il a procédé 6 mois plus tard. Cette augmentation de capital ayant permis à la société Croë France de rembourser sa dette auprès de la société Croë Suisse.

La CAA de Versailles n’a toutefois pas souscrit à l’analyse de l’Administration. Elle a en effet jugé que l’engagement pris par l’acquéreur constituait un simple transfert de la charge de la créance de la société dont les titres étaient cédés à l’acquéreur de ces titres, sans que ce transfert ne se traduise pour la société Croë Suisse par une augmentation de la valeur de cette créance ou par un avantage financier supplémentaire.

En outre, la Cour relève qu’il ressort des termes du contrat de cession que cet engagement ne faisait pas obstacle à ce que le transfert de propriété des titres intervienne dès le versement du prix convenu entre les parties, soit 6 m€.

Dans ces conditions, la reprise par l’acquéreur de la dette de la société cédée vis-à-vis de son actionnaire ne pouvait être regardée comme un élément constitutif du prix de cession des titres de la société Croë France.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.