L’actionnaire en blockchain, le droit français précurseur

Sous le feu des projecteurs, la technologie blockchain (ou « chaîne de blocs ») et ses indénombrables champs d’exploitation suscitent un vif intérêt pour tous les acteurs concernés en raison des caractéristiques attachées à cette technologie, à savoir principalement sécurité et fiabilité car réputée infalsifiable.

Le droit des sociétés est lui aussi touché par ce nouveau procédé notamment pour l’identification des actionnaires des sociétés dites non cotées, cela depuis la parution d’une ordonnance du 8 décembre 20171 (prise en application de la loi « Sapin 2 »2) venue modifier le Code monétaire et financier (CMF) permettant la représentation et la transmission de titres financiers, au moyen d’une blockchain désignée par l’ordonnance sous l’expression dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP).

Tout d’abord, si l’on devait résumer la technologie blockchain en quelques mots, il s’agit d’un registre (ou « base de données ») qui contient l’historique de toutes les transactions effectuées (ou « blocs ») entre ses utilisateurs depuis sa création offrant ainsi une très fiable traçabilité des échanges. Cette base de données est partagée sans aucun intermédiaire entre les différents utilisateurs (ou « nœud ») : il n’y a ni intermédiaire, ni autorité centralisatrice. Il s’agit ainsi d’un registre partagé structuré en chaîne de blocs.

L’identification des actionnaires est donc désormais possible grâce à un DEEP (ou en anglais DLT – distributed ledger technology). Le DEEP vise à utiliser une blockchain au lieu du traditionnel système de comptes d’actionnaires tel qu’il est prévu pour les sociétés non cotées. Rappelons l’importance capitale dans le système français des comptes d’actionnaires car c’est l’inscription en compte qui donne la qualité de propriétaire des titres : l’article L211-17 du CMF pose en règle que « le transfert de propriété de titres financiers résulte de l’inscription de ces titres au compte-titres de l’acquéreur ».

Depuis l’ordonnance précitée, a été créée l’inscription dans un registre distribué qui coexiste avec le système traditionnel de l’inscription en compte. A des fins de sécurité juridique, le législateur a assimilé juridiquement ces deux opérations comme le dispose un article du CMF : « l’inscription dans un DEEP tient lieu d’inscription en compte »3. Cette assimilation donne une efficacité juridique aux transferts enregistrés dans un DEEP mais elle est une fiction en raison de l’absence de comptes à proprement parler dans la blockchain. En effet, cette dernière ressemble davantage à un registre de mouvements de titres (c’est-à-dire une suite d’opérations chronologiques). L’entrée en vigueur de l’ordonnance et ses modalités d’application seront précisées par le Conseil d’Etat au plus tard au 1er juillet 20184.

Il en résulte que l’utilisation du DEEP constitue une modernisation des modalités de la tenue des « comptes titres » des actionnaires, on pense surtout aux sociétés ayant un grand nombre d’actionnaires et/ou celles gérant d’importants mouvements de titres ou de fonds (gestionnaires d’actifs, plateformes de crowdfunding, etc.). Cette modernisation permettra une gestion des mouvements plus aisée, moins chronophage et avec un coût allégé. Observons aussi que le recours à cette technologie blockchain permettra de réaliser toute opération affectant le droit de propriété au-delà des seules cessions : prêt, aliénation fiduciaire, location, nantissement, etc.

Saluons cette indéniable avancée et la réactivité du législateur sur les secteurs innovants. La France est ainsi le premier pays européen à adopter une législation pro blockchain, qui on l’espère confortera l’attractivité économique et financière de la place parisienne.


[1] Ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017
[2] Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016
[3] Article L. 211-3, alinéa 2 du Code monétaire et financier
[4] Article 8 de l’ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017